Le ministre des Affaires étrangères algérien était en tournée dans le Golfe. Le but? Assurer la réussite du sommet de la Ligue arabe que son pays organise en mars. Une mission délicate tant les motifs de discorde foisonnent avec les pétromonarchies.
Pour l’Algérie, le compte à rebours est lancé. À deux mois d’un très attendu sommet de la Ligue arabe prévu pour mars, Alger n’a toujours pas de date, ni de liste d’invités précise. Une situation dramatique pour le pays hôte, alors que celui-ci prétend à un statut de puissance du monde arabe.
Dans ce contexte, le ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, s’est rendu à Riyad et Abou Dhabi, deux hauts lieux du monde arabe. Entrepris il y a huit jours, ce périple s’inscrit dans le cadre des efforts déployés par l’Algérie pour réussir l’organisation "son" sommet.
Le prince saoudien Faisal bin Farhan Al Saud et son homologue algérien ont donc examiné "les étapes les plus importantes des préparatifs dans le but d'assurer le succès de ce sommet dont la date sera fixée dans le cadre de larges consultations". Quelques jours après sa visite en Arabie saoudite, le chef de la diplomatie algérienne s’est notamment félicité d’une "riche séance de travail" avec son "frère" et homologue Cheikh Abdallah ben Zayed. Ces mots courtois cachent pourtant des désaccords profonds avec les monarchies du Golfe persique. L’éloignement des positions empêchant jusqu’à présent toute avancée.
"Du côté algérien, il y a un rapport diplomatique pragmatique et prudent avec les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats", affirme Riadh Sidaoui, chercheur tunisien et directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociologiques (Caraps), basé en Suisse.
Entre Alger et ses "frères" du Golfe, les différends ne manquent pas. À peine quelques années après l’indépendance algérienne en 1962, "lorsque l’Algérie était la Mecque des révolutions arabes, l’ancien Président Houari Boumédiène avait mis en garde le peuple algérien contre ces cheikhs et ces émirs venus du Golfe", rappelle notre interlocuteur. D’après lui, l’ex-chef d’État algérien prévenait alors ses compatriotes de se méfier des pétromonarchies inféodées à la politique étrangère Washingtonienne.
Guerre froide Algérie-Maroc
Aujourd’hui, la guerre froide est finie, "il y a des échanges commerciaux et culturels" entre l’Algérie et le Golfe, indique le directeur du Caraps, "mais d’importantes divergences persistent". En particulier dans le contexte d’une nouvelle guerre par procuration entre Alger et Rabat.
"Traditionnellement, les monarchies du Golfe sont solidaires avec le Maroc, notamment sur la question du Sahara occidental. Il y a une longue histoire de partenariats entre ces acteurs. D’ailleurs, le Maroc avait envoyé des chasseurs au début de la guerre saoudienne au Yémen, avant de se retirer lorsque l’un d’eux a été abattu", précise le chercheur.
Le positionnement des pays du Golfe n’a pas varié. Alger s’en inquiète. Dans ce soutien et dans les activités géopolitiques marocaines, le Front de libération nationale (FLN) voit une menace pour ses intérêts et sa sécurité. L’ouverture officielle, le 4 novembre 2020, d’un consulat général émirati à Laâyoune, au Sahara occidental, avait été perçue comme une provocation par l’Algérie, soutien indéfectible du Front Polisario dans sa lutte indépendantiste face au royaume chérifien.
La normalisation des relations entre certaines monarchies du Golfe, le Maroc et Israël s’inscrit également dans ce contexte de tension entre l’Algérie et les pétromonarchies. Alger est un héraut historique de la cause palestinienne, une partition entonnée sur fond de combat pour l’indépendance des peuples. Le FLN n’a jamais ménagé ses efforts à l’appui de la cause palestinienne.
L’allié iranien
À cela s’ajoutent des divergences de poids sur des dossiers historiquement lourds. Notamment sur l’Iran et la Syrie.
"L’Algérie ne voit pas en l’Iran une menace pour les Arabes et pour les musulmans comme le voit l’Arabie saoudite, même si la position du royaume s’est légèrement infléchie ces derniers mois. Il y a de bons rapports entre Alger et Téhéran, notamment sur la coopération énergétique", explique Riadh Sidaoui.
En effet, depuis la révolution islamique en Iran, Riadh ainsi que ses alliés du Golfe combattent Téhéran pour s’adjuger l’hégémonie régionale. Une timide détente semble pourtant s’esquisser, notamment avec la reprise de discrètes discussions. Sur le fond, l’animosité demeure vivace entre ces deux puissances régionales. Dans ce contexte, la proximité de l’Algérie avec le pays des mollahs reste mal perçue chez les pétromonarques du Golfe.
Quant au dossier syrien, on y entend tinter le même son de cloche!
"Sur la guerre en Syrie aussi, l’Algérie affirmait, dès 2011, que Damas faisait l’objet d’un complot international et a défendu la présence de la Syrie dans la Ligue arabe", souligne le géopolitologue.
Certes, les Émirats ont finir par rétablir des relations avec la Syrie. Il n’empêche que les monarchies du Golfe, Arabie saoudite et ces mêmes Émirats en tête, ont activement soutenu la "rébellion modérée" syrienne. Plus largement, ils ont apporté leur concours aux différents mouvements contestataires des printemps arabes. Sans préciser de qui il parlait, le Président Tebboune a affirmé en juin 2021 que "celui qui a dit que l’Algérie tombera après la Syrie s’est trompé". Un tacle à peine voilé aux monarchies du Golfe, affirme notre interlocuteur.
La question syrienne est d’ailleurs au cœur de la visite de Ramtane Lamara dans le Golfe. Alger souhaite coûte que coûte réintégrer le pays dans la Ligue arabe. Une position que partage Abou Dhabi, mais pas Riyadh.
Les obstacles à un sommet réussi sont donc nombreux. Le chef de la diplomatie algérienne n’est d’ailleurs revenu avec aucun engagement de la part de Riyad ou Abou Dhabi. La situation géopolitique du monde arabe et la crise sanitaire font que plusieurs chefs d’État pourraient ne pas participer à ce sommet crucial pour l’Algérie qui se rêve en fédérateur du monde arabe. Un échec serait terrible pour Alger, mais aussi "une petite victoire" pour Rabat qui "œuvrerait en coulisse" pour faire échouer ce sommet, conclut Riadh Sidaoui.
*Source : Sputnik