"L'ingérence flagrante des ambassadrices"
Par le rédaction de Al Manar (revue de presse : 9/7/21)*
Le rédacteur en chef du quotidien libanais al-Akhbar Ibrahim al-Amine a recadré Anne Grillo l’ambassadrice de la France au Liban dans son éditorial publié ce jeudi. Et il n’est pas le seul. Ses agissements et ses déclarations au pays du cèdre lui ont valu bien des critiques, sur les pages des journaux, et les réseaux sociaux.
Elle avait le mardi 6 juillet grondé le Premier ministre par intérim Hassan Diab qui avait organisé une rencontre avec les ambassadeurs et représentants de missions diplomatiques étrangères pour mettre en garde que « le Liban se trouve au bord du désastre » et demander l’aide de la Communauté internationale.
Elle s’était insurgée contre une phrase de M. Diab dans laquelle il a dit que « le peuple libanais payait le prix du siège imposé au Liban » pour riposter violemment: « Cet effondrement est le résultat prémédité d’une mauvaise gestion et d’inaction depuis des années. Il n’est pas le résultat d’un siège extérieur. Vous tous en assumez la responsabilité ainsi que toute la classe politique qui s’est succédée ».
La transmission de son intervention ayant été interrompue, elle a tenu à en transmettre la teneur via une vidéo aux journalistes.
Une arrogance répulsive
« La France se comporte comme si elle est le premier porte-parole du dossier interne libanais, elle se comporte comme il elle détient toutes les cartes qui lui permettent de manipuler tout le monde au Liban. Elle considère qu’il lui suffirait d’avoir des contacts politiques avec le Hezbollah pour que celui-ci accepte ses perceptions », a fustigé Ibrahim al-Amine le rédacteur en chef du journal Al-Akhbar.
Et d’ajouter : « il y a une certaine arrogance répulsive de la part des Français et ils le soulignent comme quoi ils accordent à la résistance au Liban la bénédiction de dialoguer avec elle alors que la communauté internationale refuse de le faire ».
Selon al-Amine le problème de la France est qu’elle n’a rien appris du passé colonial ni des tentatives de recolonisation directe depuis 40 ans.
« La France reste la France voire de pire en pis. Les Français envisagent-ils un instant que c’est la résistance au Liban qui leur accorde la faveur de parler avec elle », a-t-il interrogé.
Les caméras israéliennes
Le patron d’al-Akhbar ne manque pas de laisser entendre que la France fait passer l’agenda israélien au Liban. Rappelant dans son article qu’elle s’était employée depuis quelques mois à faire passer par le biais de Nations unies une demande israélienne destinée à installer des caméras tout au long de la frontière entre le Liban et la Palestine occupée.
« N’a-t-elle pas compris pourquoi elle n’est pas parvenue à être un interlocuteur ainsi que l’Espagne qui est impliquée dans le jeu de l’espionnage à travers la Finul en faveur d’Israël ? n’a-t-elle pas compris le Hezbollah a refusé de dialoguer avec les Britanniques voir même de recevoir la lettre qui lui demande une rencontre. N’a-t-elle pas compris pourquoi les États-Unis et avec eux l’ONU et la France, l’Espagne et la Grande Bretagne ont demandé à la Suisse d’entreprendre les contacts avec le Hezbollah pour le persuader que ces caméras ne visent pas les gens du sud ? », tient-il à rappeler, indiquant les helvétiques ont bien compris le message selon lequel « chaque caméra qui serait installée pour surveiller la résistance serait cassée sur le champ et chaque main qui essaiera de les réparer aussi ».
Et d’en déduire : « il semble que la France n’a pas encore compris le message. Elle se comporte comme si elle est dans son plein droit d’exercer sa tutelle entière. Et que lorsqu’elle a quitté le Liban, elle était en congé, et qu’elle y est retournée pour trouver son peuple et ses dirigeants dans l’incapacité et que c’est donc elle qui décide comment les choses vont être gérées ».
Rencontres avec les ONG et Rabab Sadr
Al-Amine s’est aussi arrêté sur les rencontres que l’ambassadrice française a organisées depuis son accréditation au Liban depuis un an, succédant à Bruno Foucher. Il indique que durant ces derniers mois, elle a rassemblé au siège de l’ambassade de France à Beyrouth les représentants des organisations non gouvernementales des différentes régions et communautés pour leur dire que ce sont eux qui représentent le mieux leurs régions et leur environnement sociaux.
Il fait remarquer que Mme Grillo a distingué par ses rencontres l’association dirigée par Mme Rabab Sadr, la sœur de sayed Moussa Sadr, le leader charismatique de la communauté chiite et le fondateur du mouvement Amal qui a disparu en Libye à la fin des années 70 du siècle dernier.
Elle lui a fait part que c’est elle qui jouit de la plus grande représentativité au sein de la communauté chiite et qu’elle représente « le courant alternatif au terrorisme à l’extrémisme et à la corruption ».
Devant ses hôtes libanais, rapporte al-Amine aussi, la diplomate française n’a pas manqué de souligner que l’initiative française a pris une nouvelle forme, évoquant des changements survenus avec la nouvelle administration américaine et que la France a obtenu un mandat américain pour agir directement au Liban.
« Nous agissons aujourd’hui avec les Américains, les Britanniques et d’autres selon une vision unie. Notre initiative est totalement différente de celle du président (du parlement) Nabih Berri. Nous voulons sauver le Liban et le placer sur un nouveau niveau d’administration tandis que Berri voudrait renouveler la même classe politique », a-t-elle aussi dit aux représentants des ONG, selon al-Akhbar.
Les deux choix de Grillo
Al-Amine indique aussi que Mme Grillo a mis les Libanais devant deux choix : soit la formation d’un gouvernement formé d’indépendants qui ne soient pas choisis par les partis et qui puissent collaborer avec la Communauté internationale. Soit entrer en conflit avec cette dernière et en subir les conséquences, dont l’embargo et les sanctions.
« Tout le monde devrait le savoir, la confrontation directe avec la Communauté internationale contribuera à l’effondrement certain et définitif du Liban », aurait-elle-même menacé.
Al-Amine rapporte que l’ambassadrice française a toutefois admis que seul le Hezbollah est capable au Liban de faire face à la communauté internationale, reconnaissant qu’il est très puissant.
« Mais il devrait savoir que la confrontation va nuire à tous les Libanais », a-t-elle aussi transmis.
Se démarquer du Hezbollah
Selon lui, l’ambassadrice française a dit aux représentants des ONG que « les Libanais devraient se démarquer du Hezbollah et lui adosser la responsabilité de la confrontation avec la Communauté internationale et les séquelles » qui en découleront.
« A cela, ajoute l’ambassadrice de génie : les Libanais doivent se démarquer réellement du Hezbollah et ne pas se comporter comme le gouvernement de Hassan Diab qui n’a collaboré avec la communauté internationale et n’a pas exécuté ses recommandations et ses prescriptions pour le sauvetage », relate-t-il aussi.
Il semble que l’ambassadrice n’a pas été non plus par quatre chemins pour tracer la voie que le Hezbollah devrait suivre : « soit il accepte de négocier avec la communauté internationale, et il a le libre du choix de designer l’État avec lequel il voudrait négocier. Tout le monde voudrait dialoguer avec lui. S’il refuse les Américains, les Britanniques ou les français, il pourrait s’entretenir avec l’Onu ou l’Allemagne », toujours selon al-Akhbar.
Faute de quoi, « il en assumera les conséquences, il sera alors isolé du monde entier. Personne ne voudra parler avec lui. Pas même nous. Il aura le même sort que celui de toutes les organisations terroristes isolées dans le monde. Nous avons confiance que ce n’est pas un parti aventurier et qu’il ne se laissera pas trainer dans une aventure », a-t-elle aussi dit aux représentants de ONG, concluant que la situation d’aujourd’hui ressemble à celle qui a prévalu en 1982 et 1983, lors de l’invasion israélienne, suivie par l’intervention militaire américaine et française au pays du cèdre. C’est aussi l’année du lancement de la résistance.
Si l’ambassadeur de l’Iran…
Ibrahim al-Amine n’est pas le seul qui a été offusqué par « le ton insolent » avec lequel Mme Grillo a répondu au Premier minitre libanais par intérim
Sur Twitter des réactions outragées ne manquent pas.
« Outre son ton insolent et manipulateur , la manière avec laquelle elle a parlé au Premier ministre Hassan Diab en présence d’ambassadeurs étrangers est honteuse. Si l’ambassadeur de l’Iran avait parlé de la sorte, les chantres de la souveraineté auraient réclamé l’intervention de l’Otan », a écrit sur Twitter la journaliste Ramia al-Ibrahim.
« Hormis les propos de l’ambassadrice francaise et leur contenu qui reflète la politique de son pays et d’autres pays, depuis 30 ans ce sont eux qui soutiennent directement les personnes les plus trempées dans la corruption et qui entravent l’audit pénal et la mise en application des lois réformatrices. Ses propos sont inadmissibles… », a quant à lui commenté Alexandre Nehmeh. Il faisait allusion, entre autres, au gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, en poste depuis 1993, et dont les politiques financières ont causé l’effondrement économique. Il jouit d’une couverture américaine certaine, confirmée par les récents propos de David Hale. Il a refusé de répondre à plus de 50 questions du cabinet d’Alvarez & Marsal a qui l’audit juricomptable a été confié.
Et l’Arabie saoudite aussi
« Comment le Liban serait-il sous la tutelle et l’occupation iranienne alors que le dossier libanais va être discuté en Arabie saoudite par l’ambassadrice de France et celle des Etats-Unis, sans la présence de responsable libanais , même formelle », a raillé Samer Hassan, un citoyen libanais , en allusion à la visite réalisée ce jeudi à Riad par Mme Grillo, en compagnie de l’ambassadrice américaine Dorothy Shea , dont les ingérences dans la vie interne libanaise ont défrayé la chronique et ont été plusieurs fois critiquées.
Cette visite, dans la forme, est présentée comme étant destinée à « expliquer l’urgence que les responsables libanais forment un gouvernement crédible et efficace qui travaille à la réalisation des réformes nécessaires dans l’intérêt du Liban et conformément aux aspirations du peuple libanais », selon les termes du communiqué publié le mercredi 7 juillet sur Twitter de l’ambassade de France.
Mais ces propos ne trompent pas de nombreux Libanais.
« Les deux hauts commissaires du Liban, l’ambassadrice américaine Dorothy Shea et l’ambassadrice française Anne Grillo se comportent de par leurs ingérences flagrantes comme si le Liban était sous tutelle », a pour sa part renchérit Kar Mostafa sur Twitter.
Même colère de la part d’Ahmad Lakkis selon lequel « les agissements des deux ambassadrices sont trompeuses. Elle prétendent vouloir protéger les intérêts du Liban alors qu’insidieusement c’est une tutelle qui se veut exploiter l’effondrement économique, la crispation politique et les souffrances des Libanais et leur faim ».
*Source: Al Manar