Bagdad a présenté un projet de budget 2021 très austère afin de faire face à la crise suscitée par la chute des cours du pétrole qui fournit la quasi-totalité de ses recettes budgétaires. Le dinar devrait être dévalué de 25 %.
Par Yves Bourdillon (revue de presse : Les Echos – 18/12/20)*
Colère et inquiétude à Bagdad. La fuite dans la presse, jeudi, du projet de budget 2021 a sidéré les fonctionnaires et les épargnants, dont certains se sont précipités à la banque retirer leurs économies. En effet, ce projet prévoit une réduction drastique des primes et avantages dans la fonction publique, ainsi qu'une dévaluation du dinar. Celui-ci serait fixé à 1,450 pour un dollar, contre 1,182 actuellement, taux inchangé depuis six ans.
Après une année qui a vu le PIB irakien chuter de 11 %, le gouvernement dirigé par Moustafa al-Kazimi estime ne pas avoir le choix pour faire face à la chute des cours du pétrole provoquée, notamment, par les effets du Covid-19 sur la demande mondiale. Les exportations d'or noir, réduites en outre à 2,5 millions de barils par jour pour respecter les décisions de l'OPEP et dont le prix est attendu à 42 dollars le baril en moyenne l'an prochain, fournissent l'intégralité des revenus en devises du pays et la quasi-totalité des recettes budgétaires. Des recettes désormais inférieures à la seule masse salariale du secteur public. Ce dernier, au demeurant très peu performant, emploie quatre millions d'agents, à comparer avec une population très jeune de 40 millions de personnes.
L'Etat épuise son crédit
Les salaires sont versés avec des mois de retard et l'Etat ne peut plus financer les chantiers d'infrastructure, comme l'illustrent les coupures fréquentes d'électricité. Le ministre des Finances, Ali Allawi, avait révélé en septembre que le gouvernement empruntait chaque mois 3 milliards de dollars à la banque centrale. Mais celle-ci, dont les réserves de change ne dépassent plus 50 milliards de dollars, ne pourra pas continuer indéfiniment. Au total, Bagdad finance plus de la moitié de ses dépenses à crédit et son déficit représente environ un quart du PIB en ce moment, record du monde.
Un déficit ramené à « seulement » 12 % du PIB en 2021, selon le projet de budget diffusé jeudi. Il s'agit de supprimer les primes et avantages des fonctionnaires et d'augmenter les tarifs de l'électricité, même si la plupart des ménages n'honorent pas leurs factures. C'est surtout la dévaluation du dinar (le Fonds monétaire international recommande même un taux de 1,6 pour un dollar) qui donnerait de l'air aux finances publiques, puisque l'Etat verse des salaires en dinars mais perçoit ses recettes en dollars.
Attention à la révolte populaire
Cela fera flamber les prix des produits alimentaires, qui sont en grande majorité importés, « avec un effet désastreux sur les ménages pauvres », a averti un député de la commission des finances, Mohammed al Daraji. On estime déjà qu'un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le Parlement, qui a déjà refusé plusieurs propositions de réformes du gouvernement, risque donc fort de retoquer le projet de budget. Le gouvernement a essayé d'éteindre l'incendie, vendredi matin, en prétendant que le texte qui avait fuité dans la presse n'était pas finalisé. « La crise budgétaire se superpose à la crise politique de l'an dernier, avec un Parlement incapable de voter le budget 2020, obligeant le pays à vivre suivant le régime des douzièmes provisoires », rappelle Kirk Sowell, dans une note du cabinet de consultant en risque politique Utica Risk.
Les batailles seront d'autant plus rudes que se profilent des législatives anticipées le 6 juin prochain. La classe politique a peur en outre d'une révolte populaire, comme celle qui a fait chuter il y a un an le gouvernement Adil Abdul-Mahdi après des semaines de manifestations gigantesques contre la corruption et la misère sociale.
*Source : Les Echos