Par Antoine Manessis (revue de presse : BNH -22/8/20)*
La convention du Parti Démocrate a eu lieu, entièrement virtuelle, et sans surprise Jo Biden a été désigné officiellement candidat de ce parti pour les présidentielles qui auront lieu en novembre prochain.
Ce qu'il faut retenir de cette convention c'est qu'elle exprime parfaitement les choix du parti de l'âne : le choix du centre, le choix d'écarter l'aile progressiste, le choix de gagner les électeurs Républicains modérés et d'ignorer les démocrates qui s'étaient reconnus dans la candidature de Bernie Sanders.
Une minute : ce fut le temps de parole offert à Alexandria Ocasio-Cortez "AOC", figure de proue de la gauche démocrate qui est pourtant aujourd’hui incontournable dans le paysage politique américain. Elle a eu le temps de dénoncer "la brutalité d’une économie qui récompense les exponentielles inégalités de richesse», et souhaité des "solutions profondes et systémiques pour répondre aux expulsions de masse, au chômage, à l’absence de protection santé". En revanche la veuve de John McCain, le "héros" du Vietnam (il bombardait des enfants et des femmes), et Colin Powell, l'homme qui montra à l'ONU les "preuves" (fabriquées) de la possession d'armes de destruction massive que Saddam n'a jamais eu, ont pu s'exprimer longuement comme le républicain John Kasich qui a dit en substance à ceux qui craignent que Biden prenne un virage trop à gauche : "Ne vous inquiétez pas, je le connais, il est raisonnable, cela n’arrivera pas". La convention a fait le choix d'exclure des festivités les représentants de l’aile progressiste du parti. De nombreux progressistes sur les réseaux sociaux ont dénoncé des démocrates se "sabotant eux-mêmes".
Evidemment ce choix du PD n'est pas dû au hasard mais à une stratégie et à la nature de classe de la nomenklatura démocrate. Stratégie : celle qui consiste à croire qu'une élection se gagne au centre. Combien de fois entendons-nous cette stupidité sur les antennes ici aussi. Rassembler signifie pour la direction du PD gagner les démocrates centristes, les républicains modérés, les milieux d'affaire, Hollywood bref la classe moyenne supérieure et Wall street. Celle qui vote (nous y reviendrons). Quant à la nature de classe des leaders du Parti démocrate, il est difficilement contestable de leur appartenance à la haute bourgeoisie et au capital. En revanche, historiquement, les syndicats, les travailleurs, les minorités se reconnaissent davantage dans le PD que le parti Républicain. Nous nous trouvons donc devant une configuration finalement assez classique d'une gauche et d'une droite toutes les deux au service du capital et ne se différenciant que dans des domaines ne mettant pas en cause le système et les axes centraux de la politique de l'Empire.
Le choix de Jo Biden flanqué d'une candidate noire à la vice-présidence correspond à ce schéma. Est-ce un choix gagnant ou perdant ? On ne le saura qu'en novembre. Pourtant des signes devraient troubler le PD et ses stratèges. Le succès chez les jeunes de Bernie Sanders et de ses positions sociales affirmées. Le succès aux primaires démocrates, et contre des caciques installés et sortants du PD, de candidats jeunes et beaucoup plus radicaux comme AOC à New-York mais aussi Ilhan Omar (Minnesota), Rashida Tlaib (Michigan) et Ayanna Presley (Massachusetts). Le fait que les régions qui ont voté le plus pour Sanders il y a 4 ans étaient aussi celles où Trump fit de bon scores, ce qui veut dire que la classe ouvrière et les catégories populaires étasuniennes peuvent se reconnaître chez un démagogue comme Trump mais aussi pour un Démocrate si celui-ci leur propose une politique franchement de gauche.
Et nous revenons par ce biais à la question du vote aux Etats-Unis.
On sait que ce sont les "grands électeurs" qui désignent le vainqueur et non le suffrage universel directement. C'est ainsi que Trump ou GW Bush ont été élus avec moins de voix que leurs adversaires. Ce système a été mis en place de façon consciente par les "pères fondateurs". Ceux-ci appartenaient à l’oligarchie et ils se méfiaient évidemment du peuple. Aussi ce système avait-il pour objectif de maîtriser les réactions populaires.
De plus, durant toute l'histoire des Etats-Unis, différentes dispositions ont été prises pour affaiblir le poids du vote des classes populaires et des minorités. On sait que les afro-américains devront lutter pour qu'enfin le 6 août 1965 le président Lyndon Johnson signe le Voting Rights Act, qui interdit de façon permanente les barrières directes à la participation politique des minorités raciales et ethniques, interdit toute pratique électorale qui nie le droit de vote sur la base de la race. Cela étant, de la théorie à la pratique il y a un gouffre.
Aujourd'hui encore des tas de mesures ont pour but d'empêcher des citoyens étasuniens de voter, essentiellement les Noirs, les Latinos, les Indiens. Selon le Centre Brennan pour la justice, plus de 2 millions de personnes ont perdu leur droit de vote depuis 2013 et vingt-trois Etats ont compliqué cette démarche depuis 2010. Parmi eux, six des dix Etats qui comptent la plus forte population noire, qui vote plutôt démocrate.
Et plus globalement le système étasunien est une véritable incitation à l'abstention : par un bi-partisme institutionnellement figé où les citoyens ont le choix entre "bonnet blanc et blanc bonnet", par des bureaux de vote insuffisants et dont le nombre diminue sans cesse obligeant à des attentes interminables en pleine semaine alors que les gens travaillent et non desservis par des transports en commun, par des exigences volontairement décourageantes comme par exemple la demande de papiers d’identité avec photo (alors que 11% des Étasuniens n'ont pas de photos sur leurs cartes d'identité ou leurs permis de conduire) ou encore les centaines de milliers de personnes rayées des listes électorales faute d’avoir voté lors des précédentes élections.
Cela se passerait au Venezuela ou n’importe où ailleurs dans le monde nous aurions droit à des campagnes médiatiques massives dénonçant le viol de la démocratie par des dictateurs si possible marxistes ou à défaut populistes. Mais quand cela concerne la plus belle démocratie du monde, les Etats-Unis d'Amérique, notre grande suzeraine, notre modèle à tous c'est un silence de plomb qui couvre ce système parfaitement oligarchique qui est une véritable ploutocratie protégé par une violence institutionnelle inouïe : sans parler des violences policières et racistes, sans parler de la terrible répression syndicale, rappelons que les États-Unis ont le taux d'incarcération le plus élevé du monde : 2,2 millions de personnes étaient incarcérées aux États-Unis. Ce pays compte plus de prisonniers que la Chine (environ 1,5 million de détenus) et la Russie (environ 760 000) réunies. En 2017, les États-Unis comptent 25 % des prisonniers de la planète pour 5 % de la population mondiale. Les prisonniers sont contraints au travail et sont surexploités, dans certains Etats s'ils refusent le travail forcé ils sont maintenus 24h/24 dans leur cellule. Une grève et des actions syndicales s'organisent. En 2018 un vaste mouvement eut lieu le 21 août. La date choisie pour ce nouveau mouvement est symbolique : le 21 août marquait le 47e anniversaire de la mort du militant des Black Panthers George Jackson.
Si les médias français ne disent pas un seul mot sur cette réalité étasunienne et son caractère profondément anti-démocratique, il n'en n'est pas de même aux Etats-Unis où des progressistes mènent le combat. Ainsi The Atlantic Daily, écrit :
"En réalité, le pays a toujours été défini autant par qui est empêché de voter que par qui est autorisé à participer, et l'idéal de la démocratie a toujours été limité par des institutions conçues pour priver de ses droits. En d'autres termes: la grande majorité de toutes les élections de l'histoire américaine aurait été totalement illégitime en vertu du droit moderne. La démocratie américaine se trouve à la croisée des chemins, et un avenir où davantage de répression sera la norme semble une forte possibilité ".
*Source : NBH (Pour un nouveau bloc historique)