Nasser Zefzafi condamné à 20 ans de prison
Par Abdellah Tourabi (revue de presse : H24/Le Figaro -28/6/18)
Les lourdes condamnations dont ont fait l’objet, mardi dernier, les meneurs du Hirak, vont-elles replonger le Rif dans un climat de haine et de ressentiment? C’est ce que craint notre chroniqueur Abdellah Tourabi, pour qui la grâce royale reste la seule issue raisonnable pour sortir de cette crise.
Lundi soir, tout un pays était emporté par une fierté collective, une joie qui unissait les Marocains du nord au sud. Pendant 90 minutes, nous avons tout mis de côté: nos tracas quotidiens, les débuts de semaine difficiles, les fins de mois pénibles, les débats sur le boycott… pour soutenir l’équipe nationale face à la grande équipe d’Espagne.
Malgré notre élimination de la Coupe du monde, il y avait un sentiment d’orgueil et une satisfaction douce à être Marocains. En ces temps stériles et médiocres, le pays s’est découvert un héros, un personnage hors norme: Nordin Amrabat. Chez ce joueur d’origine rifaine, nous avons retrouvé les qualités qui manquaient à nos élites et peut-être à nous tous: le courage, l’abnégation et l’amour du Maroc. Mais dans un pays où les déceptions arrivent toujours très vite, le sort d’autres Rifains est venu nous basculer, 24 heures plus tard, dans la colère et l’inquiétude. Les lourdes sentences prononcées à l’égard des détenus du Rif sont un véritable choc. De la fierté au dégoût, l’ascenseur émotionnel est redescendu trop brutalement.
Dans un pays en état de flottement depuis 2017, où on ne sait plus vers quel horizon on se dirige, les jugements de cette semaine n’augurent rien de bon. Ils sont dans la continuité de la situation de confusion et de perte de repères politiques que nous vivons depuis plus d’un an. Les conséquences du procès des militants du Hirak sont porteuses de risques et de menaces encore plus graves.
Tout d’abord, les lourdes peines prononcées contre Zefzafi et ses camarades détruisent et émiettent le discours sur les droits de l’Homme promu par le Maroc depuis longtemps. La jolie vitrine d’un pays qui avance sur la voie des libertés, de la démocratie et du pluralisme a éclaté en mille morceaux. Des années de travail et d’efforts, passées à convaincre les Marocains et le monde que le Maroc avait changé, se sont effondrées en quelques minutes, le temps de lire un verdict. Les démons d’un passé autoritaire et brutal, que l’on croyait enterré, ont refait surface.
Car qui prendra désormais le Maroc au sérieux à l’international quand nous irons leur raconter la légende «des avancées indéniables en matière des droits de l’Homme»? Qui nous croira quand nous affirmerons qu’il n’y a plus de prisonniers politiques au Maroc? Combien nous faudra-t-il d’aplomb et de culot pour parler d’ «exception marocaine»? Tout ce que nous dirons aux Marocains et au monde sur les questions des droits de l’Homme et des libertés sonnera vide et creux. Des paroles face à des actes et des présentations PowerPoint face à des faits, des visages et des vies.
Ensuite, la crise du Rif, déclenchée l’année dernière, a démontré que les fondations de la maison Maroc étaient fragiles. Un pays qui tourne à vide, dépourvu d’élites et de corps intermédiaires qui pourraient faire face à un choc et l’amortir. Le doute s’est installé et la confiance vis-à-vis des institutions du pays s’est étiolée.
Le verdict du lundi soir risque d’anéantir les maigres espoirs qu’une partie de la population marocaine, consciente et instruite, plaçait encore dans l’avenir de son pays. Cette frange de la population marocaine, formée des classes moyennes urbaines, a permis, en 2011, de tenir l’équilibre du pays en plaçant le curseur de ses revendications au niveau de la demande des réformes. Le Roi y a répondu et l’espoir a été maintenu. Mais de déception en déception, une véritable crise de confiance envers les institutions politiques du Maroc s’est installée. Les jugements sévères de cette semaine ont réduit encore plus les possibilités d’espoir.
Enfin, et c’est le plus important et le plus grave, le procès du Hirak et ses lourdes sentences risquent de replonger le Rif dans la haine et le ressentiment. Tous les efforts de réconciliation, pour faire oublier à cette région les épisodes des répressions sanglantes de 1959 et de 1984, ont été anéantis par le verdict du lundi soir. Aux blessures du passé viennent s’ajouter la douleur et la colère sourde d’aujourd’hui. Ce que l’approche sécuritaire pense être de la poussière cachée sous le tapis de la violence n’est que de la braise qui se rallumera de nouveau. Zefzafi et son groupe ont toujours tenu un discours unitaire et d’attachement à la nation marocaine, mais leur condamnation à de lourdes peines apportera du crédit et de la légitimité au discours séparatiste qui était très minoritaire jusqu’à maintenant dans le Rif.
En condamnant Zefzafi à 20 ans de prison, on se trompe lourdement de message. On fournit alors au discours séparatiste, jusqu’ici faible et inaudible, les éléments d’une mythologie nationaliste rifaine avec ses martyrs et ses victimes. Ceux qui ne connaissent pas l’Histoire finissent toujours par reproduire ses erreurs et dans l’Histoire des quarante dernières années, il y avait suffisamment de leçons à tirer.
Maintenant, il ne reste qu’une seule solution, une unique issue raisonnable pour sortir par le haut: une grâce royale à l’égard des condamnés et la mise en place d’une nouvelle politique de réconciliation avec le Rif qui passe par la prise en compte des revendications légitimes des manifestants de 2017. Il en va de l’avenir de tout un pays.
Source : H24/Le Figaro
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