Par Mourad Sellami (revue de presse : El Watan – 17/6/18)*
Tunis (De notre correspondant) - Les groupes armés Saraya Benghazi, conduits par Mustapha Charkassi, et les Gardiens des établissements pétroliers, de Brahim Jadhran, ont attaqué, jeudi dernier, les terminaux pétroliers de Sedra et Ras Lanouf, obligeant Mustapha Sanaallah, le dirigeant de l’ENLP, à annoncer la fermeture des deux ports.
Sanaallah a indiqué que la Libye pourrait perdre 800 millions de dollars par mois si la situation venait à perdurer. Les observateurs parlent de tentatives de déstabilisation des forces de l’Armée nationale libyenne, chargée de libérer la ville de Derna de la mainmise du Majliss Choura de Derna, qui est un allié de Saraya Benghazi, proches d’Al Qaîda. L’attaque du croissant pétrolier servirait donc à desserrer l’étau de l’armée de Haftar autour de Derna.
La force armée libyenne, basée autour de Syrte, a attiré l’attention mardi dernier sur la présence des forces de Saraya Benghazi près de Hraoua et Nouflia. Les citoyens de Syrte avaient peur d’une attaque sur cette ville. Mais, c’est finalement le croissant pétrolier qui constituait la cible de cette mobilisation. «L’aile radicale du Conseil de l’Etat veut condamner l’attaque de Derna et la déstabilisation dans le croissant pétrolier pourrait constituer un moyen de pression», relève le politologue Ezzeddine Aguil. Les radicaux ont également fait appel aux «gardiens des établissements pétroliers» de Brahim Jadhran, constitués essentiellement par des éléments de l’opposition tchadienne. Ces derniers avaient fait, en mars 2017, une tentative pour reprendre ces deux mêmes terminaux pétroliers. Les forces de Haftar les ont rapidement délogés.
Chaos programmé
Dans un appel lancé à l’ONU, au gouvernement d’Al Sarraj et à la direction de l’ENLP, Brahim Jadhran annonce son allégeance à l’accord de Skhirat et affirme que «ses troupes sont des Libyens de souche, issus de la région, notamment de la tribu Magharba». Il appelle à une protection internationale des ports pétroliers. Son vœu n’a pas été exaucé. La représentation de l’ONU en Libye, la France, les Etats-Unis, le gouvernement d’Al Sarraj, le Parlement de Tobrouk et l’ENTV ont condamné cette attaque, qui «met en danger les revenus vitaux du peuple libyen». Sur le terrain, la situation est confuse.
L’hôpital d’Ajdabya, chef-lieu du croissant pétrolier, a annoncé la réception de 28 corps de victimes des affrontements, dont 12 Tchadiens appartenant au groupe armé de Jadhrane. Les informations en provenance de la zone de combats parlent d’affrontements par intermittence entre l’armée et les troupes assaillantes. Le terminal de Sedra serait repris par les forces spéciales, alors que celui de Ras Lanouf serait encore entre les mains du groupe armé de Jadhrane et de ses alliés.
Sombres perspectives
Le communiqué adressé par Jadhrane à la mission spéciale de l’ONU en Libye, au gouvernement d’Al Sarraj et à l’ENTV, montre que ce dernier ne se fait pas d’illusion sur sa capacité à résister aux forces de Haftar. Son appel est un cri de secours en faveur des assiégés de Derna, selon le juge Jamel Bennour, ancien président du Conseil révolutionnaire de Benghazi. Les radicaux sont en train de perdre la dernière des villes qui étaient sous leur contrôle, après les chutes respectives de Benghazi, Syrte et Sabratha. Le président du Conseil de l’Etat, Khaled Mechri, veut améliorer les conditions de son acceptation de la révision de l’accord de Skhirat, en montrant que les radicaux peuvent toujours nuire, toujours selon le juge.
Du côté de Haftar, les incidents du croissant pétrolier montrent que, même s’il dispose de la force armée la mieux structurée en Libye, son armée ne peut s’attaquer à plusieurs objectifs à la fois. Haftar a été certes intronisé à Paris comme chef de l’état-major de l’armée libyenne, mais le chemin reste long pour parler de l’unification des forces armées et de la stabilisation des zones sous son contrôle. L’Armée nationale libyenne doit terminer l’épuration de Derna, stabiliser le croissant pétrolier et se diriger vers le Sud pour protéger les frontières et sécuriser l’axe Joufrah-Sebha.
L’Académie militaire de Toukra et l’armement émirati renforcent certes le potentiel de l’homme fort de l’Est libyen, mais beaucoup de choses restent à faire pour stabiliser ce pays. Il faut espérer aussi que ces événements ne remettront pas en cause la feuille de route de l’ONU qui prévoit des élections générales à la fin de l’année.
*Source : El Watan