Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique.
Traduction d'articles parus
dans la presse arabe ou anglo-saxonne.
Calme plat sur le front eurasien
Publié par Gilles Munier
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15 Avril 2016, 07:40am
Alors maintenant, l’Iran est de nouveau diabolisé par l’Occident comme «provocateur» et «déstabilisant». Comment est-ce possible ? L’accord nucléaire n’était-il pas censé avoir ramené l’Iran dans le «concert des nations» fruit des entrailles de l’Occident ?
Par Pepe Escobar (revue de presse : Le Saker francophone - 7/4/16)*
L’Iran sera de nouveau sur la sellette au Conseil de sécurité des Nations Unies. La raison : les récents essais de missiles balistiques qui, selon l’Occident, sont «capables de transporter des armes nucléaires» – une prétendue violation de la résolution 2231 de 2015 du Conseil de sécurité des Nations Unies.
C’est faux. Téhéran a fait des essais de lancement de missiles balistiques début mars. Le Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, a souligné que les missiles étaient essentiels pour la défense future de l’Iran. Les missiles balistiques n’ont rien à voir avec le programme nucléaire de l’Iran ; et pourtant Washington continue de mettre ça sur le tapis avec une crise nucléaire fabriquée.
La Russie le sait, bien sûr. Le chef du département du ministère russe des Affaires étrangères chargé de la non-prolifération et du contrôle des armes nucléaires, Mikhaïl Oulianov, a dû, encore une fois, revenir sur le dossier pour affirmer que les tests de missiles balistiques n’ont pas violé la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Quoi de neuf ? Rien. Washington va maintenir la pression sur Téhéran pour une raison fondamentale : les États-Unis n’ont pas obtenu les engagements en matière de gaz naturel qu’ils attendaient après l’accord nucléaire. L’Iran privilégie la vente de son gaz naturel à ses clients d’Asie et d’Europe. L’intégration eurasienne est la justification clé.
Une mer US du Sud, à votre avis ?
La pression fonctionne également sans relâche sur la Chine à propos de la mer de Chine du Sud. Pékin n’est pas vraiment inquiet. Au fur et à mesure que Washington et Tokyo font monter la mayonnaise, Beijing augmente sa présence dans les îles Paracel et les Spratley. Le nœud de la question est bien plus au sud.
Pour la Chine, la clé est un commerce non-stop et tranquille des flux d’énergie, au moyen d’une route maritime qui se trouve passer par des points d’étranglement cruciaux. Ces points d’étranglement – surtout le détroit de Malacca – sont supervisés par l’Indonésie, la Malaisie et Singapour.
Il n’y a absolument aucun intérêt pour l’Indonésie à affronter la Chine. Et Pékin pour sa part, considère Jakarta comme une puissance qui œuvre pour la paix. Ce qui compte en fait pour Jakarta, est le renforcement de ses liens commerciaux maritimes avec Pékin. Idem pour Kuala Lumpur – même si la Malaisie et la Chine ont leurs querelles, pas exactement apocalyptiques, en mer de Chine méridionale.
Le modèle (rhétorique) de Washington est conforme à son ordinaire – un torrent de paroles, bien sûr. Mais que va faire l’Empire du Chaos ? Une prise de contrôle naval de la mer de Chine méridionale ? Imposer à l’Indonésie et à la Malaisie de ne pas améliorer davantage leurs propres – et mutuellement bénéfiques – liens économiques avec Pékin?
Élargissons le panorama
Ensuite, il y a l’OTAN. Beaucoup d’acteurs importants à Washington ont absolument marre du turbulent allié de l’OTAN, le Sultan Erdogan. Pourtant, l’impression est créée – par les Maîtres de l’Univers, trônant sur l’administration du canard boîteux Obama – qu’ils se tournent vers la Turquie pour renforcer une OTAN déjà anti-russe, l’ensemble du processus étant couvert par la rhétorique terroriste. Le fait qu’Ankara est à toutes fins utiles en train de faire du chantage à l’UE, est rejeté comme non pertinent. Ceci est une politique erronée classique.
Pourtant, il est encore difficile de savoir si la Turquie, alliée de l’OTAN, continuera à agir en Syrie, estimant que Washington et Moscou peuvent – et le mot important est «peuvent» – avoir conclu un grand marché.
Cela ne signifie pas que la pression sur la Russie sera assouplie de si tôt. Le Pentagone a annoncé qu’il dépensera $3,4 milliards pour le déploiement du matériel et des centaines de rotations des troupes américaines en Europe orientale pour contrer – quoi d’autre ? – l’agression russe, évidemment. Ceci après que le Pentagone a annoncé qu’il va quadrupler les fonds de la soi-disant Initiative européenne de réassurance pour l’exercice 2017, en attendant l’approbation du Congrès, qui est presque inévitable.
Moscou n’est pas vraiment inquiet non plus. La brigade américaine aura environ 4 500 soldats. Ensuite, il y aura quelques véhicules de combat Bradley, des Humvee, des obusiers Paladin auto-propulsés et peut-être, d’ici 2017, une brigade de Stryker. Aucune force aérienne. Peut-être l’improbable aéronef Warthog. Ceci est essentiellement un décor pour apaiser les vassaux baltes hystériques.
Maintenant, en chœur, la chanson des pressions
Pression sur l’Iran. Pression sur la Chine. Pression sur la Russie, qui incluait un complot – raté – pour détruire l’économie russe à l’aide de la production de pétrole par le gang des pétrodollars des Pays du Golfe, même si cela signifiait aussi la destruction de l’industrie pétrolière américaine, contre les intérêts nationaux des États-Unis.
La Syrie a démontré, sur le terrain, les capacités militaires russes aux véritables dirigeants de l’Empire du Chaos – ce qui les a laissés hébétés et confus. Jusqu’à la campagne russe en Syrie, l’essentiel de l’accent a été mis sur la Chine, en particulier sur les missiles chinois qui pourraient frapper les systèmes de guidage par satellites pour les ICBM [missiles balistiques intercontinentaux] et les missiles de croisière, ainsi que la capacité chinoise à abattre un ennemi entrant à une vitesse supérieure à celle d’un ICBM. Un sous-marin chinois silencieux non détecté à portée des porte-avions américains a aggravé le choc.
Maintenant que les Maîtres de l’Univers ont réalisé que le Pentagone est encore plus incapable par rapport à la Russie, celle-ci, et non la Chine, est désormais la menace existentielle majeure.
Certes, si la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Turquie, sans parler de la France et du Royaume-Uni, savaient à quel point les États-Unis sont vraiment loin derrière les Russes, alors l’OTAN pourrait s’effondrer pour de bon, et l’ensemble de l’Occident finirait par se débarrasser de l’hégémonie de l’Empire du Chaos. Et si cela n’était pas assez dramatique, l’animateur de télé-réalité Donald Trump émet l’opinion que les États-Unis devraient se séparer de l’OTAN – imaginez cette dernière se dissolvant sous la présidence de Trump, parallèlement à l’implosion/désintégration de l’Union européenne.
Il peut être instructif de revenir à ce qui est arrivé il y a neuf ans, lors de la conférence de sécurité de Munich. Vladimir Poutine avait déjà tout vu venir, sinon dans le détail, au moins sur le plan conceptuel. L’expansion géo-économique inévitable de la Chine via les Routes de la soie – Une Ceinture, Une Route (OBOR) – qui sont appelées à unifier l’Eurasie. Le progrès constant de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), évoluant d’une sorte de communauté économique et commerciale asiatique vers une espèce d’OTAN de l’Asie. Le succès de la coalition 4 + 1 en Syrie doit être vu comme un précurseur du rôle international accru de l’OCS.
Ce qui reste à l’Empire du Chaos sur le front eurasien, est le vœu pieux de tenter d’encercler la Russie et la Chine, alors que les deux pays continuent effectivement leur expansion partout dans le cœur de l’Eurasie, bazardant le dollar US pour acheter de l’or, signant une flopée de contrats en yuan et vendant du pétrole et du gaz à tout un chacun. Vous avez dit sous pression ? Eh bien, appelez plutôt ça une chanson de Queen et David Bowie : C’est la terreur de savoir / De quoi ce monde est fait / Regarder quelques bons amis / Criant, Laissez-moi sortir !
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).