Par Gilles Munier /
Le cheikh Abou Muhammad Al-Maqdisi, un des plus influents idéologues du djihadisme, - incarcéré plusieurs fois ces dernières années en Jordanie pour ses écrits et ses déclarations - a été libéré le 5 février. Il était emprisonné depuis octobre dernier pour « utilisation des réseaux sociaux en faveur des organisations terroristes », en l’occurrence le Front al-Nosra.
La libération de Muhammad Al-Maqdesi intervient après la diffusion de la vidéo de la mort horrible de Maaz al-Kassasbeh – pilote jordanien de F16 brûlé vif dans une cage par l’Etat islamique -, et au lendemain de la pendaison - en réponse - de Sajida al-Rishawi, militante condamnée à mort pour sa participation à trois attentats meurtriers contre des hôtels de luxe à Amman en décembre 2005 (57 morts et 90 blessés), et de Ziad Karbouli, présenté comme un membre important d'Al-Qaïda en Iraq (AQI). L’aviation jordanienne a par ailleurs pilonné des objectifs en Syrie, dans la zone sous contrôle de l’Etat islamique.
Le roi Abdallah II espère sans doute que Muhammad Al-Maqdisi use de son influence pour calmer les milieux salafistes jordaniens qui lui reprochent son intervention dans la coalition militaire occidentale. En juillet dernier, Al-Maqdisi a condamné la proclamation du Califat par Abou Bakr al-Baghdadi et mis en garde contre un « bain de sang », mais considère les interventions occidentales en Irak comme étant des « croisades ».
Cela dit, Muhammad al-Maqdisi n’a pas dû apprécier que le roi défile à Paris dans la manifestation « Je suis Charlie » où étaient brandis des posters insultant la Prophète, ni que le gouvernement jordanien ordonne, le 2 février, à son ambassadeur en Israël de regagner son poste à Tel-Aviv. Il avait été rappelé il y a trois mois suite aux « violations répétées » de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem par des fanatiques juifs. Selon le porte-parole jordanien les choses vont désormais « dans le bon sens » ! L’annonce qui tombait à pic avec la visite du roi à Washington, était sans doute faite pour amadouer le lobby pro-israélien.
Le lendemain, 3 février, l’Etat islamique a diffusé la vidéo du meurtre abominable du pilote.
Rappel : Qui est Abou Muhammad al- Maqdisi ? (par G.M, AFI-Flash n°84 du 3/4/08)
L’idéologue djihadiste jordanien Al-Maqdisi, mentor d’Abou Moussab al-Zarqaoui, a été libéré le 12 mars 2008 à la demande du roi Abdallah II. Etudiant à l’université de Mossoul dans les années 80 – puis expulsé vers l’Arabie Saoudite pour son hostilité au baasisme - il est considéré comme un des penseurs salafistes les plus influents.
Il rencontra Al-Zarqaoui à Peshawar, au Pakistan, où il enseignait l’islam. Auteur de plusieurs ouvrages dont « La religion démocratie»* - il revint en Jordanie en 1992 où il fut emprisonné à plusieurs reprises pour ses idées.
Incarcéré dans la même prison que Zarqaoui, après l’arrestation en 1994 des dirigeants de Beyt Al-Imam, organisation clandestine qui voulait renverser la monarchie hachémite, il critique, depuis, l’utilisation du terrorisme en politique, sauf pour combattre le sionisme et Israël. De sa cellule, il a condamné les massacres de chiites irakiens perpétrés par Zarqaoui, et s’est dit opposé à la participation d’ « Arabes Afghans » à la libération de l’Irak, parce qu’il s’agit d’une guerre entre « croisés » et « apostats », américains et baasistes. Le roi Adballah espère qu’Al-Maqdisi, libre, usera de son influence sur les partisans d « Al-Qaïda au pays des deux fleuves », présents parmi les réfugiés irakiens en Jordanie, pour qu’ils ne portent pas atteinte à la sécurité du royaume et pour que l’ « Etat islamique d’Irak » cesse ses attaques contre les chefs de tribus sunnites qui refusent de lui faire allégeance.
Après la publication, en novembre 2007, d’une lettre du Docteur Fadl – ancien compagnon d’Aymen Zawahiri, n°2 d’Al-Qaïda -, incarcéré en Egypte, accusant Ben Laden de « traîtrise envers le mollah Omar » et de « la perte de l’Afghanistan », les déclarations d’Abou Muhammad Al-Maqdisi ouvrent un débat sur l’avenir du djihadisme global et ses aspects contre-productifs. Pour Al-Zawahiri, il s’agit de propos extorqués sous la contrainte. Il a prévenu que s’il était lui-même un jour arrêté, il ne faudrait croire aucun de ses discours contredisant ses engagements actuels.
Photo : Muhammad al-Maqdisi
* Document : « La religion démocratie», par Muhammad al-Maqdisi