AFI-Flash : Est-ce pour l’avènement d’une nouvelle « dictature démocratique » que les Etats-Unis ont envahi l’Irak ?
Par Loveday Morris (revue de presse : The Star - Afrique du sud - 1er Mai 2014)*
L’affiche de la campagne électorale de Nouri al-Maliki, dissimulée parmi les milliers d’autres, le long des rues de la capitale, porte un message d’unité « Ensemble nous construirons l’Irak ».
Alors que les électeurs ont bravé les menaces d’attentats pour se rendre aux bureaux de vote, pour les premières élections après le retrait total des troupes US, il y a plus de deux ans, le premier ministre Nouri al-Maliki a déclaré, au moment où il mettait son bulletin dans l’urne, que sa « victoire » était certaine.
En dépit d’un regain de violence, ces derniers jours, aux abords des centres de vote et lors des meetings de campagne, de longues queues se sont formées, tôt le matin, dans des bureaux lourdement gardés. Et cependant, un conflit plus grand se profile en arrière-plan. Les adversaires politiques de Maliki l’accusent d’être exactement l’inverse de ce que son affiche prétend : accumulant les divisions religieuses et démantelant la démocratie chèrement acquise.
Aucun parti n’atteindra la majorité dans ces élections et il est ainsi difficile de faire des pronostics d’autant que la politique irakienne est des plus imprévisibles comme l’ont démontré les dernières élections, il y a quatre ans, quand le bloc politique ayant obtenu le plus grand nombre de voix a dû céder à Maliki le poste de Premier ministre au cours du marchandage politique qui s’en est suivi.
De nombreux observateurs s’accordent sur deux choses : il est peu probable que Maliki abandonne sans se battre férocement et il dispose d’un pouvoir et de ressources inégalés qui l’aideront à s’accrocher. Depuis son arrivée au pouvoir, il y a huit ans, après les élections qui ont suivi l’invasion américaine, il a accaparé le pouvoir comme le dénoncent les critiques. Après les élections en 2010, Maliki a assumé le rôle de ministre de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité nationale, postes qu’il détient toujours sans oublier qu’il est aussi Chef des forces armées.
Une loi adoptée par le parlement pour l’empêcher de se présenter à un troisième mandat a été annulée par les tribunaux l’an dernier. Le système judiciaire est sous sa coupe et les partis d’opposition l’accusent d’écarter leurs candidats. « Ce n’est pas ce que nous avions promis au peuple irakien. Ce n’est pas pour cela que nous avons combattu Saddam Hussein » déclare Iyad Allaoui, un chiite qui avait engendré le plus grand nombre de voix en 2010. « Ce n’est pas pour cela que les forces alliées ont perdu des hommes ». Selon lui, 38 candidats de son bloc politique ont été interdits d’élection sous des « prétextes divers » mais la commission électorale prétend que les partis ont radié 34 candidats.
L’entourage de Maliki affirme qu’il ne peut intervenir dans les décisions des tribunaux et que les nominations aux postes clés ministériels ont été entravées par le Parlement irakien. Son porte-parole, Al Moussawi, assure, qu’après le vote, Maliki a l’espoir de pouvoir former une puissante coalition par des négociations en cours. « Nouri al-Maliki cherche un gouvernement de majorité, et les fondations ont été jetées pour des alliances et il existe déjà un accord. Auparavant, nous ne pouvions accomplir cet objectif et le gouvernement devait inclure tous les partis. Ce qui a été un échec ».
Mais, même si Maliki emporte le vote, les alliances à conclure seront une tâche exténuante. Au début de son premier mandat, il a créé des frictions au sein même des chiites. Le mois dernier, les partisans de l’iman chiite Moqtada al-Sadr ont brûlé des portraits de Maliki dans les rues, Maliki a jeté l’opprobre sur la stature politique d’Al-Sadr et ce dernier l’a qualifié de « dictateur ».
En solidarité, les militants du Conseil Supérieur Islamique d’Irak, autre parti chiite, donné pour recueillir un grand nombre de votes, sont descendus dans les rues de Bassora. Au cours d’un dernier meeting de campagne, des foules ont lancé des bouteilles en direction du Premier ministre lors de son discours, selon les informations et vidéos qui ont circulé sur le net.
« Nous ne voyons venir aucun progrès » dit Abou Hussein, un soldat de Sadr City à l’est de Bagdad qui regrette avoir voté pour Maliki en 2010. Le chômage, la misère et une absence de services de base accablent l’Irak alors que ce pays est l’un des principaux pays exportateurs de pétrole. Mais, pour ce soldat de 28 ans, son principal grief à l’encontre de Maliki porte sur les opérations militaires à Anbar qui, pour lui, ont des motivations politiques et n’apportent rien, que la mort de ses collègues. Plus il y a de cercueils, plus Maliki perd en soutien.
Le gouvernement chiite se bat contre des insurgés inspirés d’Al-Qaida dans cette province sunnite, conflit qui se rapproche de plus en plus de la capitale. La violence a été alimentée par la minorité sunnite qui se plaint d’être marginalisée. Après quatre mois de conflit, Anbar, la capitale de la province, est toujours sous le feu et la ville de Falloujah est entre les mains des rebelles.
Des accusations ont été lancées à l’encontre de Maliki selon lesquelles il attise l’instabilité dont il profite, jouant sur les peurs afin de rallier les factions chiites derrière lui, de démanteler la protestation sunnite par la manière forte, tout en gardant toujours un œil sur les élections.
« Il essaie par tous les moyens de garder le pouvoir, en suscitant crise après crise » prétend un homme politique, Hamid al-Mutlaq, accusation rejetée par Moussawi comme « stupide » qui justifie l’intervention militaire, en dépit des sensibilités, à l’approche des élections, comme une nécessité.
Pour certains, la violence devait ainsi tenir de nombreux Irakiens loin des urnes puisque, dans la province sunnite, quelque 400 000 Irakiens ont été chassés de chez eux. S’ajoutant au chaos, la province largement sunnite d’Abu Ghraib a été ensevelie sous les inondations et environ 100 000 personnes déplacées. Les hommes politiques sunnites vont jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir provoqué les inondations afin d’amenuiser le vote sunnite. (…)
Par ailleurs, la politique de Maliki, non seulement frappe de plein fouet les sunnites, mais elle lui aliène la population kurde au nord du pays, région qui s’approche, rapidement, de l’indépendance. « A moins que Maliki ne soit remplacé ou ne change de cap, ces élections seront peut-être les dernières d’un pays nominalement uni » écrit Paul Salem de l’Institut du Moyen-Orient.
Mais, les influences extérieures en Irak sont primordiales, notamment celles des Etats-Unis et de l’Iran. Alors que l’influence américaine se dissipe avec le retrait des forces US, les divisions croissantes entre les chiites risquent d’entraîner la disparition du soutien de l’Iran. Certains analystes assurent que les divisions qu’il a causées pourraient voir ce pays, qui joue un rôle décisif en Irak, soutenir un autre candidat si la victoire de Maliki n’est pas évidente.
Iyad Alloui assure : « Ce ne sont pas les Etats-Unis. L’Iran est le seul, plus important pouvoir en Irak. Si l’Iran est derrière vous, vous pouvez tout obtenir impunément ».
*Titre original: Bitter, bloody election battle