Par Philippe de Saint Robert (mars 2024)*
Ce qui doit arriver arrive. Le conflit israélo-palestinien est né avec la constitution même de l’Etat hébreu qui devait être issu d’un partage de la Palestine qui n’eut jamais lieu. On oublie trop, ou l’on veut oublier, les conditions mêmes dans lesquelles l’Etat d’Israël a été admis à l’ONU en 1949. Il ressort, en effet, de la résolution 273 (III) du 11 mai 1949 que l’Etat d’Israël n’a été admis à l’ONU que sous une condition formelle qui était la mise en œuvre par le gouvernement d’Israël des précédentes résolutions des 29 novembre 1947 et 11 décembre 1948 par lesquelles, conformément à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, obligation était faite aux autorités israéliennes de rapatrier les réfugiés qui désiraient rentrer dans leurs foyers et d’indemniser ceux qui renonceraient à ce droit. Les réfugiés palestiniens, en dépit des engagements formels pris par les dirigeants israéliens devant la Commission politique spéciale des Nations Unies en 1949, ne furent jamais ni rapatriés, ni indemnisés. Il est donc un peu facile de reprocher aux Etats arabes de l’époque de n’avoir pas reconnu l’Etat d’Israël, dès lors que l’Etat palestinien prévu par le plan de partage n’était pas lui-même créé.
La guerre des Six-Jours en 1967 a tragiquement rebattu les cartes. Il convient de rappeler la position prise alors au nom de la France par le général de Gaulle, le 27 novembre 1967. « On sait, déclara alors le Général, que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combats, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme. » N’en déplaise aux chipoteurs, on peut mesurer à quel point cette déclaration reste aujourd’hui plus opportune que jamais. Certains dirigeants israéliens, surtout quand ils ne sont pas en charge, sont lucides. Ainsi Abba Eban, ancien ministre des affaires étrangères, qui écrivait dans un article intitulé « Palestine-Israël : Pour le partage », paru dans le Monde diplomatique de juillet 1988 : « Si nous insistons pour garder tous les territoires et les populations qui sont tombés sous notre contrôle en 1967, nous perdrons notre majorité juive, nos principes démocratiques, nos chances de paix éventuelle, notre traité avec l’Egypte et la possibilité d’éviter une autre guerre. »
A cet égard, la voix de la France est restée à peu près fidèle à elle-même, bien que beaucoup de pressions internes et extérieures se soient employé à brouiller les pistes. Le problème du président Emmanuel Macron est qu’il est dépourvu de mémoire historique et qu’il avance à tâtons. Le Général avait dit qu’en aucun cas la France ne tolèrerait que l’Etat d’Israël soit détruit. Cela ne signifiait évidemment pas qu’il pouvait bénéficier de notre part d’un soutien inconditionnel, tel que certains esprits incompétents ont pu le suggérer.
On en revient donc de toutes parts à la fameuse solution des deux Etats que François Mitterrand lui-même avait affirmée à la Knesset. Le problème est de savoir comment cette solution pourrait être aujourd’hui réalisable alors que les gouvernements israéliens successifs, manipulés par une extrême-droite inconséquente, ont laissé s’implanter en Cisjordanie quelque 700.000 colons qui brutalisent et expulsent de leurs terres les Palestiniens qui y résident.
A vrai dire on peut comprendre sans l’approuver que les Sionistes poursuivent les ambitions qui ont toujours été les leurs. Mais ils ne le pourraient pas si les Etats-Unis remplissaient le rôle qui devrait être le leur, qu’ils n’ont cessé de trahir notamment sous la présidence de Donald Trump. Le président Biden n’a malheureusement pas rompu avec les ambiguïtés de ce protectorat américain sur la Terre sainte. Ce sont les Américains qui dans l’état actuel des choses portent la totale responsabilité de ce qui se passe au Proche-Orient. L’Etat d’Israël ne peut mener les guerres qu’il mène qu’avec l’assistance permanente et l’encouragement désespérant de Washington. Eu égard à cela, les Etats européens pèsent bien peu, surtout depuis que François Mitterrand désavoua, dès son élection, la « Déclaration de Venise » (1980) qui définissait enfin une politique proche-orientale de l’Europe, indépendante de celle des États-Unis. On ne voit d’ailleurs pas comment l’Union européenne pourrait avoir une politique commune au Proche-Orient, compte tenu des problèmes que les Allemands ont avec leur passé. Emmanuel Macron vient de prédire, non sans raison, que la politique actuelle de Netanyahou ne pouvait qu’engendrer pour dix ans une nouvelle guerre. Il a raison, mais qu’y peut-il ?
Retrouver la pensée de Louis Massignon pourrait nous aider peut-être. Il vécut et analysa ce drame à son origine. Lui, que Jacques Berque appelait le Cheikh admirable, avait de ces événements une approche qui, par son inspiration mystique, ne peut que désorienter nos contemporains, bien incapables d’être réceptifs à cette lumière qui pourtant les éclairerait davantage que d’irréalisables décisions des Nations Unies.
Pour Louis Massignon, le drame qui déchire et oppose Israël et Ismaël est incompréhensible au regard de leur commune descendance d’Abraham. Selon lui, « c’est parce que les représentants de la chrétienté qui avaient mandat de la Palestine ont considéré le problème palestinien comme une antenne du colonialisme, que nous nous trouvons tout naturellement devant une interprétation totalitaire de la réinstallation d’Israël dans la terre qui lui a été promise. » Pour lui, « le problème de la paix dans la justice dépend du problème de l’hospitalité. Dans ce problème se trouve tout entier celui de la transcendance. » Il ajoute : « La démonstration par la force a été faite ; elle a été en faveur d’Israël et les trois quarts des gens se rangent du côté de la force, même si ce n’est pas la justice ; parce que c’est plus simple. (…) L’ONU s’est lavé les mains de la mort de Bernadotte, on a relâché les suspects, on ne trouvera jamais les coupables. C’est encore une erreur, on devrait les chercher. Car il fallait, pour tuer, quelqu’un sachant que Bernadotte avait commis deux crimes : Le premier, c’est d’avoir voulu couper en deux la Terre sainte. Le partage n’est pas permis. La tunique sans couture de l’humanité ne peut pas être coupée en deux. C’est l’inverse du jugement de Salomon. On pousse deux enfants à couper en deux leur Mère. ».
Louis Massignon ne donne pas tort à Israël mais il le met dans son tort dans la mesure où c’est lui qui occupe et ne fait jamais la moindre concession : « Là, écrit-il, nous entrons dans le mystère de la vocation d’Israël et le mystère de son rôle quand il revient en Terre sainte. La race d’Israël est une race sacerdotale, elle est vouée au sacerdoce par Abraham et par l’Abraham du sacrifice d’Isaac. Les Musulmans ne sont pas des sacrificateurs, ce sont des guerriers, des gens qui tirent l’épée pour la transcendance divine toute pure, ce qui est aussi une chose extraordinaire et une chose abrahamesque, mais ils n’ont pas le caractère de prêtres. Je ne veux pas faire de peine à mes amis Israélites, mais il y a quelquefois de mauvais prêtres dans Israël. » Bref, Massignon considérait que le sionisme manque de vie spirituelle. « Tout essai de partage de la Terre sainte entre rivaux, insiste-t-il, et même tout essai d’abandon de ce symbole unique de la future Union humaine à Israël seul, en excluant la chrétienté ou l’islam, est irréalisable.
Cf. Louis Massignon, Ecrits mémorables, tome 1, « Collection Bouquins », Robert Laffont, 2009.
*Philippe de Saint Robert est écrivain, ancien Commissaire général à la langue française (1984-1987).
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