La fumée se lève suite à des frappes israéliennes sur la bande de Gaza
Des frappes aériennes autorisées sur des cibles non-militaires et l’utilisation d’un système d’intelligence artificielle ont permis à l’armée israélienne de mener la plus meurtrière de ses guerres contre Gaza, révèle une enquête de +972 et Local Call.
Par Yuval Abraham (revue de presse : Agence Media Palestine - 30 novembre 2023)*
Une enquête menée par +972 Magazine et Local Call révèle plusieurs facteurs qui auraient contribué au caractère particulièrement destructeur des premières étapes de la guerre actuelle menée par Israël dans la bande de Gaza : l’autorisation élargie donnée à l’armée israélienne pour bombarder des cibles non-militaires, l’assouplissement des contraintes concernant les pertes civiles attendues, et l’utilisation d’un système d’intelligence artificielle pour générer toujours plus de cibles potentielles. Ces facteurs, tels que décrits par les membres actuels et anciens des services de renseignement israéliens, ont sans doute contribué à la survenue de ce qui s’avère être l’une des campagnes militaires les plus meurtrières contre le peuple palestinien depuis la Nakba de 1948.
L’enquête menée par +972 et Local Call est basée sur des conversations avec sept membres actuels et anciens de la communauté du renseignement israélien – y compris des membres du renseignement militaire et de l’armée de l’air – impliqués dans les opérations israéliennes dans la bande assiégée. S’y ajoutent des témoignages, des données et des informations de provenance palestinienne, des documents fournis depuis la bande de Gaza, ainsi que des déclarations officielles du porte-parole de Tsahal et d’autres institutions de l’État israélien.
Comparée aux précédentes attaques israéliennes contre Gaza, la guerre actuelle – qu’Israël a baptisée « Operation Iron Sword » et qui a débuté à la suite de l’attaque menée par le Hamas contre le sud d’Israël le 7 octobre – a vu l’armée étendre considérablement ses bombardements sur Gaza aux cibles qui ne sont pas clairement de nature militaire. Il s’agit notamment de résidences privées ainsi que de bâtiments publics, d’infrastructures et d’immeubles de grande hauteur, que l’armée définit, selon des sources, comme des « cibles de pouvoir » (« matarot otzem »).
Le bombardement de tels « cibles de pouvoir », selon des sources du renseignement qui ont eu une expérience directe de son application à Gaza dans le passé, vise principalement à nuire à la société civile palestinienne : à « créer un choc » qui, entre autres, comme l’a spécifié une source, aura une forte résonance susceptible « d’amener les civils à faire pression sur le Hamas ».
Plusieurs sources, qui ont parlé au +972 et à Local Call sous couvert d’anonymat, ont confirmé que l’armée israélienne dispose de fichiers sur la grande majorité des cibles potentielles à Gaza – y compris les maisons d’habitation – qui stipulent le nombre de civils susceptibles d’être tués lors d’une attaque contre une cible particulière. Ce nombre est calculé et connu à l’avance des unités de renseignement de l’armée, qui savent donc, peu avant de lancer une attaque, combien de civils sont susceptibles d’être tués.
Dans un cas évoqué par nos sources, le commandement militaire israélien a sciemment approuvé le meurtre de centaines de civils palestiniens dans le but d’assassiner un seul haut commandant militaire du Hamas. « Les chiffres sont passés de dizaines de morts civiles [considérées acceptables] lors d’opérations précédentes comme dommages collatéraux dans le cadre d’une attaque contre un haut responsable, à des centaines de morts civiles autorisées comme dommages collatéraux », a déclaré une source.
« Rien n’arrive par hasard », a déclaré une autre source. « Lorsqu’une fillette de 3 ans est tuée dans une maison à Gaza, c’est parce que quelqu’un dans l’armée a décidé que ce n’était pas grave qu’elle soit tuée – que c’était un prix qui valait la peine d’être payé pour frapper [une autre] cible. Nous ne sommes pas le Hamas. Ce ne sont pas des fusées aléatoires. Tout est intentionnel. Nous savons exactement l’étendue des dommages collatéraux qu’il y aura dans chaque maison. »
Selon l’enquête, une autre raison expliquant le grand nombre de cibles et les dommages considérables causés à la vie civile à Gaza est l’utilisation généralisée d’un système appelé Habsora (« L’Évangile »), qui repose en grande partie sur l’intelligence artificielle et peut « générer » des cibles presque automatiquement à un rythme qui dépasse de loin ce qui était auparavant possible. Ce système d’IA, tel que décrit par un ancien officier du renseignement, facilite rien moins qu’une « usine d’assassinats de masse ».
Toujours selon nos sources, l’utilisation croissante de systèmes basés sur l’IA comme Habsora permet à l’armée de mener des frappes massives contre des résidences où vit un seul membre du Hamas, même s’il s’agit de jeunes membres de l’organisation. Pourtant, les témoignages de Palestiniens et de Palestiniennes à Gaza suggèrent que depuis le 7 octobre, l’armée a également attaqué de nombreuses résidences privées où ne résidait aucun membre connu ou soupçonné membre du Hamas ou de tout autre groupe militant. De telles frappes, ont confirmé des sources au +972 et à Local Call, peuvent tuer en connaissance de cause des familles entières.
Dans la majorité des cas, ajoutent les sources, l’activité militaire n’est pas menée à partir de ces foyers ciblés. « Je me souviens avoir pensé que c’était comme si [des militants palestiniens] bombardaient toutes les résidences privées de nos familles lorsque nous [les soldats israéliens] retournions dormir à la maison le week-end », se souvient une source critique de cette pratique.
Une autre source a déclaré qu’un officier supérieur du renseignement avait affirmé à ses officiers après le 7 octobre que l’objectif étant de « tuer autant de membres du Hamas que possible », les critères concernant le fait de nuire aux civils palestiniens avaient été considérablement assouplis. Ainsi, il existe « des cas dans lesquels nous bombardons en nous basant sur une localisation plutôt approximative de l’endroit où se trouve la cible, tuant ainsi des civils. Cela est souvent fait pour gagner du temps, là où avec un peu plus de travail, on aurait pu obtenir un repérage plus précis », a expliqué la source.
Le résultat de ces politiques est une perte stupéfiante de vies humaines à Gaza depuis le 7 octobre. Plus de 300 familles ont perdu 10 de leurs membres ou plus dans les bombardements israéliens au cours des deux derniers mois – un nombre qui est 15 fois plus élevé que celui de la guerre la plus meurtrière menée par Israël contre Gaza jusqu’à là, en 2014. Au moment de la rédaction de cet article, environ 15 000 Palestiniens et Palestiniennes auraient été tué.e.s dans la guerre, et ce n’est pas fini.
« Tout cela est en vif contraste avec le protocole utilisé par Tsahal dans le passé », a expliqué une source. « On a le sentiment que les hauts responsables de l’armée sont conscients de leur échec du 7 octobre et se demandent comment donner au public israélien une image [de la victoire] qui sauvera leur réputation. »
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Traduction BM pour Agence média Palestine