Revue de presse : Reporters sans frontières (RSF – 4/1/23)*
En réponse à l’incarcération du directeur des médias Radio M et Maghreb Émergent le 29 décembre 2022, Reporters sans frontières (RSF) alerte l’ONU sur l’acharnement judiciaire subi par le journaliste depuis trois ans et dénonce cette ultime tentative de réduire au silence les derniers médias indépendants en Algérie.
Par courrier daté du mardi 3 janvier 2022, RSF a saisi en urgence la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression – Irene Khan – de la détention d’Ihsane El Kadi. Dans cette communication officielle, l’organisation souligne que l’arrestation du journaliste, le 24 décembre, est intervenue quelques jours seulement après la publication d’articles critiques envers les autorités. Cette chronologie accrédite une motivation politique derrière son arrestation et une volonté claire de museler les médias indépendants offrant une tribune aux défenseurs de la liberté d’expression.
“Nous demandons à la Rapporteuse spéciale des Nations unies d’appeler d’urgence les autorités au respect de leurs obligations internationales et constitutionnelles. Les Nations unies doivent exiger la libération immédiate d’Ihsane El Kadi et l’abandon pur et simple de poursuites fallacieuses qui ne visent qu’à le réduire au silence.
Antoine Bernard
Directeur du plaidoyer et de l’assistance de RSF
Début décembre 2022, RSF appelait déjà les autorités algériennes à mettre un terme au harcèlement judiciaire visant le journaliste. Condamnation à 6 mois de prison en juin 2022, multiple reports de son procès en appel ou encore convocations répétées au mois de novembre… Avec son arrestation, c’est une nouvelle intensification des intimidations dont fait l’objet le journaliste, en violation de la Constitution algérienne qui consacre pourtant la liberté d’opinion.
Due à une constante augmentation des menaces, des intimidations et du harcèlement judiciaire des journalistes, l'Algérie se classe à la 134e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.
Découvrir le pays
En Algérie, la liberté de la presse est confrontée à de nombreuses lignes rouges. Le simple fait d’évoquer la corruption et la répression des manifestations peut valoir aux journalistes menaces et interpellations.
Paysage médiatique
Le paysage médiatique en Algérie n’a jamais été aussi détérioré : les médias indépendants sont sous pression, les journalistes sont régulièrement emprisonnés ou poursuivis, et plusieurs sites internet sont bloqués. Les médias les plus importants sont les chaînes de télévision privées comme Ennahar TV, Echorouk TV et El Bilad TV, alors que les médias considérés comme les plus sérieux et crédibles sont le quotidien El Watan pour la presse écrite, et TSA et Interlignes pour la presse en ligne.
Contexte politique
Le climat politique est très tendu, notamment depuis l’élection du président Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019. Médias et journalistes subissent de nombreuses pressions, dont la majorité sont exercées par la présidence de la République, les partis politiques, les services de sécurité et les autorités locales. Il est très difficile pour les reporters d’effectuer leur travail de manière libre et indépendante alors que le pouvoir politique a une influence directe sur la nomination et le licenciement des responsables des médias et des autorités de régulation.
Cadre légal
Le cadre législatif est de plus en plus contraignant. Si l‘article 54 de la Constitution garantit la liberté de la presse, il encadre également la diffusion d’informations et d’opinions qui doivent respecter “les constantes et les valeurs religieuses et culturelles de la nation”, menaçant ainsi la liberté des journalistes. Une réforme du code pénal, adoptée en 2020, criminalise de un à trois ans de prison la diffusion de “fausses nouvelles” et de “discours haineux” visant à porter atteinte “à l’ordre et à la sécurité nationale” ainsi qu’”à la sûreté de l’État et à l’unité nationale”. Ces textes sont régulièrement utilisés pour poursuivre et condamner les journalistes. Dans ce contexte, la censure et l’autocensure sont largement répandues.
Contexte économique
Le secteur privé souffre depuis 2019, et plusieurs médias et chaînes de télévision ont dû fermer, notamment car les organes de presse sont privés de publicité. Par ailleurs, les subventions d’État ne sont octroyées qu’aux médias publics ou aux médias privés proches du régime.
Contexte socioculturel
L’environnement social et culturel des journalistes diffère du nord au sud. Dans les villes de l’intérieur du pays, les associations locales, le préfet et les groupes religieux ont un pouvoir important et imposent la censure aux journalistes. Le conservatisme social et religieux ont également un poids certain, et les reporters ne peuvent pas aborder les sujets liés à la sexualité ou à la religion.
Sécurité
Les menaces et intimidations auxquelles sont confrontés les journalistes sont en constante augmentation, et il n’existe aucun mécanisme de protection. Les reporters critiques des autorités peuvent subir des détentions arbitraires, font l’objet d’une surveillance et sont placés sur écoute. Les journalistes indépendants ou proches du Hirak, le mouvement de contestation populaire lancé en février 2019, peuvent être la cible de menaces en ligne et de campagnes de haine lancées par des “mouches électroniques” (“doubab”), des comptes anonymes proches du pouvoir.
*Source : RSF (Reporters sans frontières)