Des partisans du religieux chiite Moqtada al-Sadr lors d'une prière du vendredi en plein air à Sadr City, à Bagdad en Irak, vendredi 15 juillet 2022. AP - Hadi Mizban
Revue de presse : Texte par RFI (16/7/22)*
Sans y participer lui-même, le leader chiite Moqtada al-Sadr a mobilisé vendredi 15 juillet à Bagdad des centaines de milliers d'Irakiens pour une prière collective, un geste destiné à faire pression sur ses adversaires pour accélérer la formation d'un gouvernement.
Depuis les élections législatives d'octobre 2021, les 42 millions d'Irakiens, épuisés par une crise économique et sociale majeure, attendent toujours de savoir qui sera leur prochain Premier ministre. Les partis chiites, majoritaires, ne sont pas parvenus à doter le pays pétrolier d'un nouveau chef de gouvernement. Et la crise s'est accentuée le 12 juin avec la démission des 73 parlementaires du courant de Moqtada al-Sadr, un geste destiné à protester contre cette inertie.
Fort de son titre de « sayyed », descendant du prophète Mahomet, Moqtada al-Sadr a un poids considérable dans le paysage politique irakien depuis la chute du dictateur Saddam Hussein, renversé par une coalition emmenée par les États-Unis en 2003 et pendu en 2006.
La grande prière collective de vendredi qu'il a convoquée à Bagdad a joué à plein, comme une manière de dire qu'il pouvait facilement mobiliser des centaines de milliers de personnes, même par plus de 40°. « Al-Sadr parvient à mobiliser ses fidèles, et même en dehors de son mouvement, pour deux raisons, analyse Hardy Mède, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique, spécialiste de l'Irak, au micro de Martin Chabal du service international de RFI. D'abord parce que c'est un mouvement qui a une expérience extrêmement importante des mobilisations, une expérience qui a été acquise depuis une dizaine d'années, le mouvement sadriste a recours d'une manière régulière à la rue. Et deuxièmement, c'est un mouvement aussi très largement implanté, très organisé sur la scène locale. C'est un mouvement qui repose sur un réservoir de militants très mobilisés sur le terrain. Sadr aujourd'hui essaye de remobiliser le même mouvement, (lui) donner un souffle pour dire que, de toutes façons, même si on n'est plus au Parlement, on est toujours capable de se mobiliser, d'avoir recours à la rue, et puis aussi peser ainsi sur la dynamique politique. »
« Merci à Dieu pour cette grande victoire (...) Merci aux fidèles du vendredi », a tweeté Moqtada al-Sadr. Absent de ce rassemblement dans le quartier de Sadr City, le leader chiite a laissé le soin à un proche, cheikh Mahmoud al-Jayachi, de prononcer le sermon de la prière du vendredi, en forme d'apostrophe à ses adversaires du Cadre de coordination. Car c'est à cette alliance de partis chiites, dont certains sont proches de l'Iran, que M. Sadr laisse désormais la responsabilité de former un gouvernement. Enchaînant les réunions, les caciques du Cadre de coordination n'ont toutefois pas encore réussi à se mettre d'accord.
Un appel à la mobilisation
« Nous sommes à un carrefour difficile dans la formation du gouvernement, confiée des gens en qui nous n'avons pas confiance », a dit cheikh al-Jayachi à la foule de fidèles rassemblés sur l'avenue al-Fallah, dans ce sermon écrit par Moqtada al-Sadr. Certains « que nous avons déjà vus à l'exercice n'ont pas été à la hauteur », a-t-il renchéri. Et comme une mise en garde à l'intention de ses adversaires, le leader chiite s'en est notamment pris au Hachd al-Chaabi, milice d'ex-paramilitaires désormais intégrés aux forces régulières que nombre d'Irakiens accusent d'être le faux-nez de l'Iran chez eux et de commettre des exactions. « Il faut le réorganiser et le débarrasser des éléments indisciplinés », a-t-il lancé, égratignant les « interventions étrangères », sans toutefois pointer du doigt un pays en particulier. Le sermon a également appelé « à éloigner le Hachd de la politique et des affaires », alors que la puissante coalition dispose d'une vitrine politique et de députés au Parlement dans le Cadre de coordination, et que certains de ses dirigeants sont accusés d'affairisme.
« Al-Sadr voulait montrer sa capacité mobilisatrice, lancer un message qui envoie au Cadre de coordination. Il dit clairement : "Si vous avez l'intention de former le gouvernement, et bien le Premier ministre doit être quelqu'un qui répond aussi aux revendications du mouvement sadriste" », explique Hardy Mède.
Selon le chercheur, il faut vraiment choisir une personne qui soit aussi acceptée par Sadr. Et dans le prêche, il est clairement dit que les personnes qui ont été au pouvoir par le passé ne peuvent revenir au gouvernement. Il visait l'ex-Premier-ministre Nouri al-Maliki. « On voit que, quand même, au sein du Cadre de coordination, il y a une sorte de délitation, note Hardy Mède. Ils ont compris que sans Sadr ça ne serait pas possible d'aller vers un nouveau gouvernement, et que de toute façon même s'ils arrivent à former un gouvernement sans Sadr, ce gouvernement ne pourra pas survivre. »
*Source : RFI