Par Alexandre Aoun (revue de presse : Sputnik – 3/9/21)*
Alors que le dernier soldat US a quitté l’Afghanistan, un haut diplomate américain a affirmé qu’ils allaient rester en Irak et en Syrie. Ce maintien s’expliquerait en partie par la lutte contre le terrorisme. Mais cette raison permettrait surtout de maintenir la pression sur Damas et sur l’Iran. Analyse.
Après l’Afghanistan, les États-Unis vont-ils se retirer d’Irak et de Syrie?
À en croire Joey Hood, secrétaire d’État adjoint par intérim aux Affaires du Proche-Orient, ce n’est pas d’actualité. Lors d’un entretien accordé à la chaîne américaine arabophone al-Hurra TV, celui-ci a déclaré: «je veux dire sans équivoque que l’Afghanistan n’est ni l’Irak ni la Syrie», avant d’ajouter «nos intérêts en Irak se poursuivront au fil du temps, et cela inclut non seulement la sécurité, mais aussi l’aide aux forces de sécurité irakiennes et aux FDS [Forces démocratiques syriennes, combattants majoritairement kurdes, ndlr] pour vaincre l’État islamique* une fois pour toutes. Cela prendra du temps». Pour le moins claire, cette déclaration du haut diplomate balaie les spéculations sur un repli général des Américains du Moyen-Orient.
Daech* encore présent
La présence militaire des États-Unis serait donc conditionnée à l’existence d’une menace terroriste toujours présente dans la région. «Vous croyez vraiment que les États-Unis vont arrêter de combattre Daech et Al-Qaïda*?», s’interroge François Chauvancy, général (2S) de cavalerie.
«Je vois mal comment les Américains pourraient relâcher leur présence dans la mesure où c’est une base avancée de la projection de leur puissance, surtout compte tenu des milliards qu’ils ont pu dépenser dans la guerre contre le terrorisme. Il faut dissocier la présence en fonction des intérêts régionaux avec les États avec lesquels ils ont des accords», estime l’officier supérieur des troupes de marine au micro de Sputnik.
La présence militaire américaine dans la région servirait à former les armées nationales et à combattre la recrudescence de Daech. «Certes, les terroristes n’ont plus d’ancrage territorial comme avant, mais ils ont toujours une capacité de nuisance importante en Syrie et en Irak», nous explique le militaire. Compte tenu de la porosité de la frontière irako-syrienne, le déplacement des djihadistes se ferait sans peine, la géographie désertique et montagneuse de la région jouant en leur faveur. Malgré la défaite territoriale de l’État islamique en 2019, les anciens combattants djihadistes s’entassent dans les camps de détention et le camp de réfugiés d’Al-Hol contrôlé par les FDS et pourraient devenir une menace sécuritaire à moyen terme.
Les États-Unis exploitent le pétrole syrien
Indépendamment de la présence avérée de Daech au nord-est de la Syrie, Washington entend maintenir une pression sur le gouvernement de Damas. Par l’intermédiaire de son soutien aux forces kurdes à l’Est de l’Euphrate, l’Administration américaine chercherait à détacher ce territoire du reste de la Syrie.
D’ailleurs, dans son allocution, Joey Hood a affirmé «notre armée en Syrie combat l’État islamique, qui est la seule raison de la présence de l’armée là-bas. Nous ne cherchons pas à changer de régime à Damas, mais nous essayons certainement de changer les actions du régime Assad. C’est pourquoi nous avons des sanctions comme la loi César, parmi d’autres mesures auxquelles le régime et ses partisans sont confrontés». Mais ce que le diplomate a surtout oublié de mentionner, c’est que les États-Unis empêchent la Syrie de jouir pleinement de ses propres ressources pétrolifères. En effet, la compagnie américaine Delta Crescent Energy LLC exploite le pétrole syrien. «À chaque fois qu’il y a un conflit, il y a des ressources à exploiter» estime le général (2S) François Chauvancy.
Les soldats américains dissuaderaient donc Damas de s’aventurer trop à l’Est.
«Les Américains ne vont rien faire pour favoriser Assad. Pour ce qui est de l’Irak, c’est un marché en reconstruction, ils vont conditionner une partie de leur aide et surtout éviter que le pays ne tombe entre les mains des Iraniens. La nature a horreur du vide, donc s’ils partent, ça serait un cadeau pour Téhéran», souligne l’ancien officier, consultant en géopolitique.
«L’Iran a des intérêts de puissance dans la région, il est dans sa zone d’influence naturelle», ajoute-t-il. Et les intérêts des mollahs s’opposent frontalement à ceux du Pentagone. Régulièrement, les milices irakiennes inféodées à Téhéran rappellent à Washington qu’il n’est pas le bienvenu dans la région. Toutes les semaines, les miliciens tirent plusieurs roquettes sur les bases américaines pour maintenir un climat de pression. L’Iran cherche en effet à asseoir un réseau d’alliance jusqu’à la Méditerranée en passant par la frontière syro-irakienne et le point stratégique d’Abou Kamal. Cet axe s’appuie sur un maillage communautaire chiite réputé favorable aux autorités iraniennes.
Environ 50.000 soldats américains au Moyen-Orient
La présence américaine fait donc obstacle à ce projet de sanctuarisation d’un axe régional. Malgré les effets d’annonce sur sa volonté de repli militaire, l’armée US devrait rester encore longtemps dans la région. Lors de la visite du Premier ministre irakien, al Kadhimi, à Washington le 26 juillet dernier, le Président Biden a affirmé que les missions de combats de l’armée américaine cesseraient d’ici «la fin de l’année». Mais cessation ne veut aucunement dire repli définitif.
Et les chiffres parlent d’eux-mêmes: la présence américaine au Moyen-Orient avoisine les 50.000 soldats, répartis dans différents pays de la région: 2.500 en Irak, 900 en Syrie, 3.000 en Jordanie, 13.000 au Koweït (base de redéploiement des forces en cas d’urgence), 7.000 à Bahreïn (qui héberge la cinquième flotte américaine), 13.000 au Qatar (s’y trouve à Al-Udeid la plus grande base de la région), 3.000 en Arabie Saoudite, 5.000 aux Émirats arabes unis et 600 à Oman.
Bien inconscient celui qui parierait sur le départ de tels contingents.
*Organisations terroristes interdites en Russie
*Source : Sputnik