En Irak, le président français Emmanuel Macron se veut médiateur régional en maintenant les troupes françaises dans le pays. Quelles peuvent être les conséquences d’une telle volonté pour la Turquie ?
Par Öznur Küçüker Sirene (revue de presse : TRT en français – 2/9/21)*
Le président français Emmanuel Macron a effectué un voyage officiel en Irak, du vendredi 27 au dimanche 29 août, où il a participé à une conférence régionale avec les puissances du Moyen-Orient. Différents sujets tels que la lutte antiterroriste, la situation en Afghanistan, le développement économique de la région, les tensions avec l’Iran étaient à l'ordre du jour.
Lors de sa visite à Bagdad, le chef de l’Etat français a fait des déclarations importantes : « Quels que soient les choix américains, nous maintiendrons notre présence pour lutter contre le terrorisme en Irak aussi longtemps que les groupes terroristes continueront à opérer et aussi longtemps que le gouvernement irakien nous demandera cet appui », a-t-il annoncé, ajoutant qu'ils avaient « les capacités opérationnelles pour assurer cette présence, quels que soient les choix américains ».
Après Bagdad, Emmanuel Macron s'est aussi rendu dans le Nord de l’Irak pour assurer du soutien de la France.
Emmanuel Macron était le seul dirigeant occidental présent lors de la conférence. De plus, d'autres pays comme la Turquie ou encore l'Iran étaient uniquement représentés par leurs ministres des Affaires étrangères. On peut en conclure l'importance accordée par Macron aux relations entre la France et l'Irak.
Mais d'où vient cet intérêt de Paris pour Bagdad ?
« Une volonté française de se réengager diplomatiquement et économiquement en Irak »
Le journaliste du Figaro Georges Malbrunot explique l’importance de cette visite comme une « volonté française de se réengager diplomatiquement et économiquement en Irak » dans son article intitulé « Emmanuel Macron réengage la France en Irak ». Selon lui, la visite du président français en Irak marque l’aboutissement d’un lent rapprochement entre Paris et Bagdad même si on est encore « très loin de l’âge d’or de la coopération franco-irakienne des années 1980 ».
Dans son article intitulé « En Irak, Macron se présente à la fois comme 'médiateur' et comme 'alternative' », Le Courrier International apporte une autre piste de réflexion quant au rôle que Macron veut assumer en Irak : « La France essaie de prendre pied au Moyen-Orient à partir de l’Irak après avoir échoué à le faire au Liban », explique un observateur politique pour le site irakien Al-Alam Al-Jadid. Selon ce dernier, Paris « veut envoyer le message et montrer que le pays – et plus largement l’Union européenne – peut être une alternative aux États-Unis ».
Il convient également de souligner les grands enjeux « économiques » d’une telle coopération stratégique franco-irakienne. En mars, le ministère irakien du Pétrole avait annoncé que l'Irak avait signé un protocole d'accord avec le groupe pétrolier français Total portant sur quatre projets dans le domaine du gaz naturel, de l'énergie solaire et du retraitement de l'eau de mer et que les investissements de groupe Total s'élèveront à « plusieurs milliards de dollars ».
Un nouveau terrain de concurrence avec la Turquie
Après la Syrie, la Libye, la Méditerranée orientale et le Caucase du Sud, l’Irak peut devenir un nouveau point de friction entre la Turquie et la France. Le président français Emmanuel Macron ne prend pas en considération la lutte de la Turquie contre le groupe terroriste PKK / YPG. La Turquie poursuit une opération militaire contre les positions tenues par le PKK dans le nord du pays. Il y a à peine une semaine, 28 cibles terroristes ont été détruites via des frappes aériennes dans la région d'Asos au nord de l'Irak.
L’insensibilité de Macron au sujet de la lutte de la Turquie contre le PKK dans la région peut provoquer de nouvelles tensions dans les relations franco-turques. Ajoutons à cela que l'Irak envisage d'acheter des drones et des hélicoptères auprès de la Turquie. « Ces appareils nous seront très utiles dans la lutte contre l'organisation terroriste Daech », a déclaré le ministre irakien de la Défense, Jumaa Inad. Cette déclaration peut être une source de frustration pour la France de plus en plus devancée par la Turquie dans le secteur de la défense.
En conclusion, il est évident que Macron souhaite donner un message de soutien à l’Irak après le retrait chaotique des Etats-Unis de l’Afghanistan. Il cherche clairement à profiter de la débâcle américaine en Afghanistan pour pousser les pions des intérêts français dans la région. Il veut dire qu’il restera là et que son pays a les capacités nécessaires pour assurer la sécurité et la stabilité de la région contrairement aux Etats-Unis.
Le nouveau rôle que Macron veut jouer en Irak peut encore une fois changer les équilibres géopolitiques dans la région et créer une nouvelle source de tension avec la Turquie. Le temps nous dira si dans cette région du monde, Macron optera pour l’apaisement avec la Turquie ou continuera de la traiter comme une rivale.
*Source : TRT en français