De gauche à droite : une femme accrochant une affiche avec l'inscription "non je ne vote pas" sur une banderole d'un candidat aux législatives, le 21 septembre, à Bagdad ; un homme encagoulé colle une affiche appelant au boycott des élections sur un lampadaire le 16 septembre 2021. © Twitter / @Haydar_Saeedi
Texte par Djamel Belayachi (revue de presse : France 24-Les Observateurs – 24/9/21)*
Alors que les élections législatives en Irak prévues le 10 octobre approchent, les appels au boycott se multiplient sur les réseaux sociaux. Des militants qui refusent tout scrutin tant qu’il n’est pas mis fin à la corruption dans le pays et, surtout, à la toute-puissance des milices pro-iraniennes issues du Hachd al-Chaabi, une organisation paramilitaire créée en 2014 pour combattre l'organisation État islamique, aujourd’hui accusée de nombreuses exactions contre les civils.
Ces appels au boycott des élections législatives se sont propagés en raison de la terreur provoquée par une vague d'assassinats de militants prodémocratie. Plus de 70 militants ont été assassinés depuis le début d’une série de manifestations en octobre 2019 réclamant notamment la fin de la corruption et de l'influence de l’Iran sur le pays. Les militants voient dans ces crimes, restés impunis, la main de milices chiites pro-iraniennes issues du Hachd al-Chaabi.
Regroupant 60 à 70 brigades armées chiites, le Hachd al-Chaabi a été créé suite à l’appel lancé en juin 2014 par l'ayatollah Ali al-Sistani au jhad contre l’organisation État islamique, qui venait alors de s’emparer de la ville de Mossoul.
Les assassinats des militants n’ont pas été revendiqués, mais pour les militants, comme pour l'ONU, il s'agit de "milices" dans un pays où les groupes armés financés par l’Iran n'ont cessé de gagner en influence.
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Sous le hashtag “Cris d’Irakiens pour le changement", des vidéos où l’on voit des activistes placarder des affiches appelant au boycott ou arracher des affiches de candidats ont été diffusées sur les réseaux sociaux depuis fin août.
"On ne peut pas voter dans un climat de terreur "
Samer al-Saïdi est porte-parole de la campagne “Cris d’Irakiens pour le changement. Il vit en exil en Turquie.
J’ai participé aux manifestations anti-gouvernementales en 2017. Et par la suite à celles d’octobre 2019. Mais le 17 juillet 2020, trois hommes à bord d’un véhicule noir, des membres d’une milice, m’ont menacé dans la rue. Dix jours plus tard, je quittais le pays pour la Turquie.
Cette campagne consiste à coller des affiches du “non” sur les affiches des candidats un peu partout en Irak. Les visages des participants sont couverts, pour préserver leur sécurité.
Nous rejetons ces élections car en Irak les armes échappent à tout contrôle de l’État. Ce sont les armes qui sont aux mains des milices du Hachd al-Chaabi et qui menacent la sécurité de la population civile. On ne peut pas voter dans un climat de terreur.
Même le Premier ministre, Moustafa al-Kazim, est impuissant face à ces milices. En mai dernier, elles avaient envahi la zone de haute sécurité de Bagdad [ NDLR : où se trouvent les principales institutions et les ambassades] suite à l’arrestation d’un de leurs commandants, Kassem Mousleh, accusé du meurtre d’un activiste antipouvoir connu, Ehab al-Ouazni. Résultat, sous la pression de ces milices, le gouvernement a été contraint de le libérer.
“Toutes les milices ont des représentants au Parlement”
Ces mêmes milices armées participent à la vie politique et ont des représentants dans le gouvernement et toutes en ont au Parlement.
Par exemple Hossein Mones, le leader du mouvement houqouq (droits en arabe) qui vient d’être créé, participe aux élections alors qu’il est issu des brigades du Hezbollah irakien [milice chiite pro-iranienne considérée comme la plus puissante du Hachd al-Chaabi avec un effectif d’environ 10 000 hommes, NDLR], qui est sur la liste des organisations terroristes des États-Unis.
Le groupe politique Sadiqoun qui participe aussi à ces élections n’est autre que la branche politique des milices Asaïb Ahl al-Haq [milice accusée de plusieurs massacres massifs de civils en 2014, NDLR]. Et la liste est encore longue.
Les assassinats lors des manifestations, les assassinats ciblés, les enlèvements et actes de torture qui ont visé les activistes n’ont donné lieu à aucune enquête sérieuse. Aucun suspect n’a été jugé à ce jour. On ne votera pas tant que les assassins des militants pro-démocratie ne seront pas jugés.
En outre, le pays est gangréné par la corruption. Cent-quarante-sept plaintes pour des faits de corruption politique sont sur la table de la Commission gouvernementale anti-corruption, et aucun dossier n’a été traité jusqu’ici, parce qu’on sait qui est derrière ces affaires : les milices et leurs bras politiques.
En mars dernier, une enquête de l’AFP a révélé que ce sont principalement des groupes du Hachd al-Chaabi qui tiennent les passages frontaliers terrestres et les docks où transite la marchandise. Dans tous ces postes-frontières, partis et factions placent des douaniers qui facilitent le passage des cargaisons lorsque des importateurs leur ont payé des pots-de-vin.
Selon les chiffres officiels irakiens, depuis 2003, plus de 410 milliards d'euros ont disparu dans les méandres de la corruption, soit deux fois le PIB du pays.
Malgré la menace qui pèse sur la sécurité, Samer al-Saïdi affirme que les activistes de la campagne “Cris d’Irakiens pour le changement” descendront dans la rue le 1er octobre pour manifester contre le scrutin, et ce dans plusieurs villes du pays. Ils ont d’ailleurs déjà tenu un rassemblement à Bagdad.
Des partis et personnalités politiques ont annoncé boycotter ces élections, invoquant une fraude prévisible et une corruption parmi les candidats.
Le député Faeq al-Sheikh Ali, leader de l’Alliance tamaddoun (civilisé), un mouvement essentiellement constitué de figures de la société civile, a annoncé en mai dernier qu’il renonçait à se présenter au scrutin, suite à l’assassinat du militant antigouvernemental Ehab al-Ouazni. Dans la foulée, le Bloc national, un mouvement politique né des manifestations d’octobre 2019, a également annoncé son retrait.
Près de 25 millions d'Irakiens sont censés voter le 10 octobre pour élire 329 membres du Parlement. Plus de 3 200 candidats se présentent, entre affiliés à des partis et indépendants, dans les 83 circonscriptions du pays.
D’abord prévues pour 2022, ces élections législatives avaient été avancées une première fois au mois de juin 2021 puis finalement en octobre, pour désamorcer le mouvement de contestation populaire de 2019.
*Source : France 24 (Les Observateurs)