Revue de presse : La Diplomatie.fr (12/7/21)*
L’Irak, connu pour être l’un des pays les plus corrompus du monde selon les données de l’ONG Transparency International, vient d’adopter sa stratégie nationale de lutte contre la corruption, proposée par la Commission de l’intégrité publique. Ce plan, qui a vocation à s’étendre de 2021 à 2024, est porteur d’espoirs dans un pays où la corruption a d’ores et déjà grevé les finances publiques de 400 milliards d’euros depuis 2003. De nombreux cadres du pays, tant du secteur public que du privé, ont d’ores et déjà été arrêtés.
Un mouvement anti-corruption non dénué d’intérêt politique
Depuis octobre 2019, la lutte contre la corruption est devenue une exigence majeure de la rue irakienne, à l’origine de grandes manifestations réclamant des réformes économiques pour lutter contre le chômage endémique, l’amélioration des services publics, un changement de gouvernement, la fin de la sujétion à la puissance voisine iranienne et, évidemment, une lutte plus active contre la corruption. Le bilan macabre de cette mobilisation s’élève à 1500 morts, avec une répression d’État rarement égalée depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003.
Le plan vient concrétiser le lancement officiel d’une vaste campagne de lutte anti-corruption débutée en août dernier. Dans ses premiers mois, la campagne a entraîné l’arrestation d’une trentaine de très hauts responsables, notamment des sous-secrétaires d’État, des gouverneurs ou encore des directeurs généraux d’administration, en poste ou à la retraite. Plusieurs grandes personnalités du secteur privé ont aussi été inquiétées. D’ailleurs, déjà, depuis plusieurs mois, de nombreux hommes d’affaires ont fui le pays, craignant d’être arrêtés et jugés pour corruption, après l’arrestation tonitruante de l’ancien leader du parti Al-Hal, Jamal Al-Karbouli, « l’une des personnalités sunnites les plus influences du paysage politique en Irak » rapporte le magazine libanais Daraj, qui évoque des soupçons de corruption s’élevant « à hauteur de plusieurs millions de dollars ».
Une vague de répression, de prime abord volontariste, qui ne serait, selon certains observateurs, pas dénuée de toute forme d’arrière-pensée politique. « Al-Kazimi (NDLR. Le Premier ministre irakien) a frappé fort dernièrement, mais il a choisi des personnalités sans assise populaire et ne bénéficiant pas du soutien des milices [chiites pro-iraniennes, très influentes dans le pays] » affirme le journaliste Irakien Kamal Badran à nos confrères de Courrier International. Serait-ce « un de ces coups politiques dont l’Irak est coutumier avant chaque échéance électorale ? » s’interroge le journaliste.
Une nouvelle vague d’arrestations
À l’annonce du plan, une nouvelle vague d’arrestation a pu être portée au bilan d’Al-Kazimi. Samedi 12 juin, deux généraux ont été arrêtés au port d’Oum Qasr, l’une des principales portes d’entrée du pays réceptionnant, entre autres, une partie des importations de nourritures et de médicaments du pays. Le premier arrêté dirigeait le terminal nord d’Oum Qasr, tandis que le second dirigeait l’audit douanier. Signe qu’au niveau de responsabilité, la corruption est un véritable système, ancrée même dans les organismes de contrôle.
Pour les autorités irakiennes, la lutte s’annonce sanglante. Le 18 juin, un officier supérieur, le capitaine Muhammad al-Shamousi, notamment chargé d’exécuter les mandats d’arrêt à l’encontre de certaines personnes accusées de corruption, a été assassiné par un commando armé, dont l’identité est encore inconnue.
La justice irakienne aussi visée
L’une des arrestations les plus emblématiques fut celle du juge Jafar al Khazraji, condamné à une « peine d’emprisonnement sévère », une lourde amende et au remboursement des 17 millions de dollars détournés par lui et son épouse. Une arrestation qui fait écho à une autre affaire de corruption. En 2011, Orange et Agility acquièrent 44 % de l’opérateur irakien, avant de se faire exproprier 3 ans plus tard par l’autorité de régulation des télécommunications irakiennes, la CMC. Plusieurs articles de presse, dont l’un du Financial Times, ayant rendu publics des documents confidentiels américains, pointent les faits supposés de corruption d’au moins deux des cadres supérieurs de la CMC, Ali Al-Khuwaildi et le Dr Safa al Rabie, qui auraient reçu des biens matériels et financiers en échange de leur décision d’expropriation. Les deux entreprises multiplient les recours devant les tribunaux irakiens, dont l’un a été présidé par Jafar al-Khazraji, puis devant le centre international de règlement des différends entre investisseurs, CIRDI, , qui ont refusé d’examiner les faits supposés de corruption révélés par la presse. Au grand dam des plaignants, qui peinent encore à récupérer leur mise.
Pour l’Irak, sortir du cercle vicieux de la corruption est une urgence vitale, pour un pays dont le déficit s’accumule et dont les richesses sont très largement détournées aux mains des élites.
*Source : La Diplomatie.fr