James Zogby, président de l'Arab American Institute
Dr. James J. Zogby (revue de presse : Le blog d’Hoipolloi Cassidy – 17/5/21)*
Mercredi, j'étais en train de mener mon "Zoom chat" hebdomadaire avec les lecteurs de cette rubrique, lorsque la discussion a été piratée et interrompue par un groupe pro-Israël qui jouait de la musique en rafale en hébreu. J’étais en train de parler avec Omar Shakir, de Human Rights Watch, de la manière dont la violence actuelle en Israël et dans les territoires occupés justifiait l'accusation selon laquelle l’État d’Israël est coupable des crimes d'apartheid et de persécution des Palestiniens.
Apparemment, certains ne voulaient pas que cette discussion se poursuive. Ils ne voulaient pas non plus tirer les leçons de ce conflit concernant les échecs passés des politiques américaines et israéliennes. Mais ceux qui ont « des yeux pour voir et des oreilles pour entendre » sauront tirer les leçons des événements tragiques du conflit israélo-palestinien qui se déroulent aujourd’hui. Permettez-moi d'en énumérer quelques-unes :
Après avoir signé des accords de normalisation avec plusieurs pays arabes, de nombreux Israéliens et leurs partisans en Europe et aux USA ont cru bêtement que le conflit était terminé. Ce n'est pas le cas. Soyons clairs : le « problème » d'Israël a toujours consisté en son refus d'accepter les droits du peuple palestinien. Peut-être qu’Israël s’est imaginé, avec les accords de normalisation dans sa poche, les USA dans son camp et la politique palestinienne en désarroi, qu’il était désormais libre d'imposer sa volonté.
Mais, comme si souvent dans le passé, les Israéliens ont sous-estimé la détermination du peuple qu'ils oppriment. La leçon à tirer est que la répression continue des droits des Palestiniens n'est pas chose fiable.
Puisque Netanyahu et ses concurrents étaient en négociation avec certains des partis arabes d'Israël pour former une coalition, les experts israéliens estimaient que les citoyens palestiniens d'Israël avaient « mûri », et qu’ils ne se préoccupaient plus de la nation palestinienne ou ne s'identifiaient plus à elle. Tel n'est pas le cas. Au contraire, les manifestations qui ont submergé les villes israéliennes en réponse aux expulsions anticipées à Sheikh Jarrah, à l'assaut de la police contre Al Aqsa et au bombardement de Gaza ont montré clairement que de nombreux citoyens palestiniens d'Israël se considèrent comme une partie intégrante du peuple palestinien.
Lorsque Human Rights Watch a publié son rapport accusant Israël de crimes d'apartheid et de persécution des Palestiniens, les critiques libéraux aux États-Unis ont déclaré qu'ils exagéraient et qu’ils n'auraient certainement pas dû inclure la politique israélienne à l'égard de ses propres citoyens arabes palestiniens. Tel n'est pas le cas. Le nettoyage ethnique de Sheikh Jarrah pour des « raisons démographiques », la pauvreté et le chômage des Palestiniens résultant du bouclage de Jérusalem, l'inégalité économique, sociale et politique à laquelle sont astreints les citoyens palestiniens d'Israël, le comportement discriminatoire de la police israélienne à Jérusalem et dans les villes israéliennes, et les chants extrémistes juifs de « mort aux Arabes ! » - tout cela démontre qu'Israël est un État ethno-nationaliste qui privilégie un groupe (les Juifs) au détriment d'un autre (les Palestiniens). C'est bien de l'apartheid, et l’État Israël doit faire face à cette réalité s'il veut la paix sociale.
L'administration Biden a cherché à éviter de s’engager directement dans le conflit israélo-palestinien. Elle a essayé de se contenter de déclarer son opposition aux colonies et à l'annexion tout en affichant sa conviction de « la valeur égale des vies israéliennes et palestiniennes », tandis qu’elle promettait un « soutien inébranlable à Israël » et refusait de conditionner l'aide américaine au comportement israélien, sans reconnaître que ces déclarations étaient en contradiction.
Lorsqu'Israël a annoncé des expulsions et l'expansion des colonies dans et autour de Jérusalem, l'administration s'est contentée d'exprimer sa « profonde préoccupation « . Ces affirmations ont été « refusées » à plusieurs reprises par Israël. Tant que les États-Unis ne tiendront pas Israël pour responsable de ses actions et n'insisteront pas pour qu'Israël paye le prix de son comportement, les Israéliens continueront à agir en toute impunité et à rejeter les « préoccupations » américaines.
Les partisans d'Israël insistent sur le fait que les deux partis politiques aux USA soutiennent unanimement les actions israéliennes, citant comme preuve les lettres de soutien d'une majorité des membres du Congrès. Dangereuse espérance. Vrai, les partisans d'Israël continuent de « tenir la colline du Capitole », mais ils perdent du terrain tout autour de la colline, surtout parmi les démocrates. Des dizaines de sénateurs et de représentants démocrates ont vivement critiqué les actions d’Israël et la réponse timorée de l'administration Biden ; beaucoup appellent à conditionner l'aide américaine à Israël. C’est une réflexion des changements spectaculaires dans l'attitude des électeurs américains vis-à-vis d'Israël et de sa politique.
Une majorité des démocrates s'oppose désormais aux colonies, souhaite que les États-Unis fassent pression sur Israël pour qu'il modifie sa politique, est favorable à ce que l'aide américaine à Israël soit conditionnée à son traitement du peuple palestinien. Cette évolution est due avant tout à un changement dans l’attitude des Noirs et des Latinos, des jeunes, et des femmes d’un niveau d’éducation élevé – des catégories d'électeurs essentiels pour les démocrates. Si l'establishment démocrate continue à ignorer ces mouvements il court un certain risque politique.
Nous voici donc, une fois de plus, au milieu d'une guerre qui fera de nombreux morts, fera souffrir beaucoup d'autres et, en fin de compte, ne résoudra rien. Il y a des leçons à tirer de ce conflit, mais il faut avoir « des yeux pour voir et des oreilles pour entendre ». Les partisans d'Israël peuvent essayer d'ignorer ou de faire taire les critiques, mais la réalité elle-même ne peut être ignorée ou réduite au silence.
James Zogby, président de l'Arab American Institute, Washington, Membre du Comité Exécutif du Parti Démocrate entre 2001 et 2017, décrit le mouvement des rapports de force aux USA vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.
Traduction de Hoipolloi Cassidy
*Source : Le blog de Hoipolloi Cassidy
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