Par Nicolas Framont (revue de presse : Frustration Magazine – 13/5/21)*
Il y a peu d’exemples aussi frappants du rôle du langage dans la déformation d’une réalité que celle de l’entreprise d’apartheid de l’Etat colonialiste d’Israël, pardon, du « conflit israélo-palestinien ». Que s’est-il passé ces dix derniers jours au Proche-Orient ? Un quartier de Jérusalem est en train d’être vidé de ses habitants palestiniens au profit de colons israéliens, énième épisode d’un État colonial dirigé en ce moment par un gouvernement d’extrême-droite. Les protestations des Palestiniens ont été violemment réprimées par la police israélienne. En représailles, des roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza, cette prison à ciel ouvert coupée du monde par un blocus israélien depuis plus de dix ans, et où la situation des habitants est devenue, aux dires de l’ONU, « invivable ». L’armée israélienne a répliqué par des bombardements, pardon, des « frappes » (plus précises, ciblées et plus « pro »).
Cet épisode d’une guerre coloniale que beaucoup d’entre nous ont toujours connu n’est pourtant pas décrit en ces termes. A lire la presse cette semaine, il y aurait à Jérusalem « des affrontements », des « heurts », une « escalade de la violence » entre deux peuples ennemis. Qu’importe qu’il y ait d’un côté des manifestants et de l’autre la police armée, d’un côté la bande de Gaza et de l’autre une puissance nucléaire. A entendre nos médias, on est dans une guerre à armes égales, voire avec un côté plus légitime que d’autre… Exemples : « International : pluie mortelle de roquettes sur Tel-Aviv, frappes musclées d’Israël sur Gaza », titrent Challenges, la Provence ou Nice Matin, reprenant une dépêche AFP. La mort d’un côté, les muscles de l’autre : la sacro-sainte « neutralité journalistique » en pleine action. Et sur France Info, on pouvait entendre que « l’aviation a mené des raids à Gaza et les groupes armés palestiniens bombardent Israël ». Vous avez dit « journalisme militant » ?
Par le miracle des mots, la répression menée par un État colonialiste ayant instauré un régime d’Apartheid devient la réaction légitime et courageuse (« musclée ») d’un pays exposé à la barbarie de terroristes assoiffés de sang.
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