Arrestation de Bob Denard par des militaires français,
après son coup d'Etat aux Comores (1995)
Par Laurent Ribadeau Dumas (revue de presse : Franceinfo/Afrique – 20/12/19)*
Depuis les années 1960 et les mouvements de décolonisation, des mercenaires sont à l'œuvre en Afrique. Petit état des lieux sur l'ensemble du continent.
La Guinée équatoriale a soumis mi-décembre 2019 à ses pairs du Conseil de sécurité de l'ONU une proposition de résolution visant à renforcer la lutte contre les mercenaires dans le centre de l'Afrique. Le texte "appelle tous les Etats membres des Nations unies à adopter des législations interdisant à leurs ressortissants de contribuer au recrutement, au financement, à l'entraînement et au transfert de mercenaires ou combattants". La résolution évoque le "danger d'activités de mercenaires (...), particulièrement pour des petits pays en voie de développement, notamment pour des Etats du centre de l'Afrique". Il n'est "pas sûr" que cette idée soit suivie d'effets, a commenté un diplomate sous couvert d'anonymat...
Petite précision, la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole qui regorge de pétrole, est gouvernée d'une main de fer depuis 40 ans par le président Teodoro Obiang. En 2017-2018, son régime affirmait avoir déjoué un coup d'Etat et pourchassé des mercenaires tchadiens, soudanais et centrafricains à la solde de l'opposition radicale. "Certains doutent de l'existence même du coup d'Etat", écrivait franceinfo Afrique à l'époque.
"Un sujet de grave préoccupation" pour l'ONU
"En Afrique, qui est au cœur du débat d’aujourd’hui, les activités mercenaires demeurent un sujet de grave préoccupation", expliquait le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, lors d'un débat sur le sujet au Conseil de sécurité en février 2019. Il citait l'intervention de tels combattants "au Sahel", ainsi que "dans les violences postélectorales en Côte d’Ivoire en 2010". Etaient également cités le Cameroun et... la Guinée équatoriale.
La "tradition" des mercenaires en Afrique
A la suite de la décolonisation, à partir des années 1960, le continent a vu de nombreux mercenaires, notamment européens, agir sur son sol. Au Katanga (RDC) entre 1960 et 1963. Entre 1967 et 1970, lors de la sécession du Biafra, aujourd'hui province du Nigeria, où se sont notamment battus des Français. Dans les guerres (contre le Portugal) au Mozambique et en Angola, toujours dans les années 1960-1970. "Il y a également eu les 'faiseurs de rois', comme le Français Bob Denard, impliqué dans deux coups d’Etat successifs aux Comores (1975 et 1978)", rappelle Sciences Humaines. Mort en 2007, Bob Denard a multiplié les actions sur le continent pendant une quarantaine d'années.
Les Russes du groupe Wagner
Des activités de mercenaires russes ont été signalées depuis 2018 en Centrafrique, pays où l'influence de la France a longtemps été incontestée. Ces derniers ont même été vus patrouillant en armes dans les rues de Bangui. Ils se sont faits plus discrets ces derniers mois, rapporte l'AFP. Ils sont soupçonnés d'être engagés par Wagner, entreprise militaire qu'on dit financée par Evgueni Prigojine, proche de Vladimir Poutine.
Des consultants du groupe Wagner ont été vus au Mali. La société serait aussi "présente dans au moins quatre autres pays – Libye, Madagascar, Soudan et Mozambique", croit savoir Le Monde. "En Libye, jusqu’à trente-cinq hommes de Wagner seraient morts au mois de septembre, fauchés par une frappe aérienne alors qu’ils combattaient au côté du maréchal Haftar", précise le quotidien français. Au Soudan, selon le site middleasteye.net, Wagner aurait protégé "les exploitations minières d'or, de diamant et d’uranium" pour le compte du président déchu Omar el-Béchir.
Des Occidentaux à la manœuvre
En 2004, le président de Guinée équatoriale Teodoro Obiang, avait déjà failli être renversé par près d'une centaine d'hommes arrêtés au Zimbabwe et en Guinée même. Ces "chiens de guerre" (de l'anglais war dogs) étaient Africains (Namibiens, Angolais, Congolais de RDC...). Le Zimbabwe avait alors accusé les services secrets américains, britanniques et espagnols (la Guinée Equatoriale étant une ex-colonie espagnole). Chevilles ouvrières du complot, selon Courrier International : un Britannique, Simon Mann, et un Sud-Africain, Nick du Toit. "Des célébrités sur le marché des mercenaires en Afrique (qui) ont des liens avec les services secrets britanniques et américains", dixit le journal sud-africain Mail & Guardian cité par l'hebdomadaire français. Les deux hommes ont effectué respectivement quatre et cinq ans de prison. "De nos jours, plus personne n’accepte ces dangereux perturbateurs. Les mercenaires sont une espèce en voie de disparition", commentait en 2004 l'hebdomadaire zimbabwéen Standard, cité par Courrier International.
Les mercenaires, une espèce en voie de disparition ? Pas si simple... Car depuis une vingtaine d'années, on assiste à une évolution dans ce secteur. La "guerre contre la terreur" (voulue par George W. Bush) en Irak et en Afghanistan dans les années 2000 a vu les armées américaine et britannique sous-traiter "une part de plus en plus importante de leurs activités à des sociétés militaires privées (SMP)". Ce que d'aucuns ont appelé la "privatisation de la guerre". "C'est aujourd’hui devenu la norme, les Etats et les sociétés refusant d’assumer la responsabilité de l’usage de la violence et de la force", commente l'ONG britannique War on Want, cité par RFI.
Par la suite, le nombre de ces entreprises s'est multiplié, notamment Outre-Manche. "Dans les années 1990 et le début des années 2000, des mercenaires prenaient part aux combats", explique Walter Bruyère-Ostells, maître de conférence à Sciences-Po Aix (cité par RFI). "Aujourd’hui, on a surtout affaire à (des) 'contractors', des employés de SMP, qui s’occupent de formation, de logistique et de conseil pour des opérations statiques. Ils ne combattent pas."
Parmi ces "gros" contractants privés, qui ont "pignon sur rue", on trouve des entreprises comme Aegis Defence Services, G4S , Control Risks. Certaines d'entre elles pèsent "plusieurs milliards de dollars", observe RFI. Aegis Defence Services aurait des bureaux en Libye, Somalie et Mozambique. De son côté, Control Risks, qui se définit aussi comme "une société de conseil mondial spécialisé dans le risque et qui aide les organisations à réussir dans un monde instable", s'intéresse beaucoup à l'Afrique. Son site propose un "index risque-rendement" pour le continent et consacre un chapitre au "paysage de l'enlèvement contre rançon, et de l'extortion" en Afrique du Sud.
Aujourd'hui, on distingue deux types de structures sur ce créneau, observe le chercheur Walter Bruyère-Ostells. D'un côté, les "contractors" des "grandes entreprises occidentales qui font un effort éthique et déontologique". De l'autre, les mercenaires des "petites sociétés, notamment sud-africaines, où des gens s’affranchissent parfois de certaines règles, avec des pratiques de barbouzes à l’ancienne"...
Des Ukrainiens au Sahel
La société ukrainienne Omega Consulting Group, qui se définit elle-même comme une "entreprise ukrainienne de Services de Sécurité et Défense (ESSD) spécialisée dans le management des risques liés à la sûreté", serait particulièrement active dans la région. Elle reconnaît être implantée à Bamako (Mali), Dakar (Sénégal), Nouakchott (Mauritanie), Conakry (Guinée), Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger). En Afrique, elle est également présente à Rabat (Maroc), au Caire (Egypte), à Harare (Zimbabwe). Selon le site middleasteye, elle a, un temps, recruté "des 'opérateurs' francophones ayant une solide expérience du combat".
D'autres acteurs ukrainiens travaillent dans la région, apparemment plus dans l'humanitaire. "Au Mali, la compagnie Ukrainian Helicopters fournit des moyens d'évacuations médicalisés aéroportés à la Minusma depuis deux ans. On les retrouve aussi au Soudan, au Congo et en Côte d'Ivoire", affirme middleasteye.net. La firme explique également qu'elle mène des campagnes humanitaires pour le compte de l'ONU en Ethiopie, Somalie, Kenya, Ouganda et au Mozambique.
Côte d'Ivoire, entre Biélorusses et Libériens
En 2004, le bombardement de la force française Licorne sur la base de Bouaké (centre) avait "été effectué par un avion de l’armée ivoirienne, un Sukhoï-25 (de fabrication russe), piloté par un mercenaire biélorusse flanqué d’un copilote ivoirien", raconte Libération. De son côté, Le Monde évoque deux Sukhoï. Dix personnes (neuf Français, un Américain) avaient été tuées. A en croire Libération, l'affaire est assez étrange. "La France a eu à sa disposition les pilotes et techniciens slaves (biélorusses, russes et ukrainiens) chargés des Sukhoï, fournis clés en main à Gbagbo (le président ivoirien, NDLR) par une entreprise biélorusse, via un intermédiaire français : Robert Montoya – un ancien gendarme de l’Elysée sous Mitterrand. Capturés sur l'aéroport d’Abidjan, une quinzaine d’entre eux ont été détenus durant quatre jours et 'débriefés' par les services français. Mais leur interrogatoire est toujours classé 'secret défense'", rapportait le journal français en 2014.
Autre affaire en 2010 : des attaques dans le sud-ouest du pays avaient été perpétrées par des miliciens ivoiriens et des mercenaires libériens, selon l'entourage du président Ouattara.
Au Cameroun, des mercenaires étrangers pour les séparatistes anglophones ?
Ce sont les médias camerounais qui l'affirment. "La marine camerounaise aurait intercepté dans la nuit du 8 au 9 septembre (2018, NDLR) trois navires transportant d’importantes quantités d’armes de guerre" près des îles Bakassi, au sud-ouest du pays, rapporte le site africanews. Ces "mercenaires" seraient arrivés de "pays comme le Mali, le Tchad et le Nigeria". Ils auraient pu venir pour "prêter main forte aux séparatistes anglophones en conflit (...) avec les forces de sécurité du Cameroun". Un conflit sévèrement réprimé par les autorités.
Nigeria : les "soldats perdus de l'apartheid"
En 2015, l'armée nigériane a apparemment reçu, dans son combat contre Boko Haram, l'aide d'une centaine de mercenaires sud-africains, payés chacun 400 dollars par jour, "somme que la plupart des militaires nigérians ne touchent pas en un mois", selon Jeune Afrique (lien payant). Parmi eux, "des pilotes d'hélicoptère, des conducteurs de véhicule blindé, des instructeurs et des conseillers de haut rang en lien avec l'état-major nigérian". Outre les Sud-Africains, il y avait des Namibiens, des Britanniques et des Indiens.
Ces Sud-Africains seraient d'anciens militaires, âgés de 50 à 70 ans, formés sous le régime raciste de l'apartheid. Ceux que Jeune Afrique appelle "les soldats perdus de l'apartheid".
*Source : Franceinfo/Afrique