Interview de Saad al-Muttalibi (revue de presse : RT en français - 9/6/17)*
La torture de prisonniers soupçonnés de liens avec Daesh à Mossoul n'est pas sanctionnée par le gouvernement et a souvent lieu sous commandement américain, selon Saad Al-Muttalibi, membre du Comité de sécurité de Bagdad.
Preuves à l'appui, un photographe a révélé que des soldats irakiens torturaient des prisonniers soupçonnés d'avoir des liens avec Daesh à Mossoul. RT livre l'analyse d'un expert irakien.
RT : Selon notre correspondant qui a passé un certain temps à Mossoul, les abus auxquels se livrent les forces irakiennes ne sont un secret pour personne. Est-ce vraiment ainsi ?
Saad Al-Muttalibi (S. A.-M. ) : La guerre, c’est la guerre ! C’est une chose terrible. Il y a des dommages collatéraux, et des innocents paient toujours de leur vie, c’est un fait. De telles actions de l’armée ne sont certainement pas sanctionnées par le gouvernement. Un certain nombre de militaires ont été ou sont actuellement détenus à Bagdad pour violation des droits de l’homme. Le problème est que ceux-ci sont principalement supervisés par les commandants américains. Or, ces commandants ont une sorte d’immunité : nous ne pouvons pas les interroger. D’autre part, l’Occident a accusé nos Unités de mobilisation populaire [milices à majorité chiites], alors qu’aucune plainte n’avait été portée contre elles. Elles ont libéré le terrain et n’ont pas commis de brutalités. S’il y a eu des cas isolés, ils ont été sévèrement punis.
La personne sur la photographie n’a pas été tuée, elle est en vie. Le problème, la concernant, est que son fils et frère sont membres de Daesh. L’officier qui était responsable de son interrogatoire a pris les choses en mains... et vous connaissez la suite.
RT : Ces actes ne sont pas sanctionnés, ils restent tolérés depuis si longtemps, et cela n’aide pas à résoudre le problème...
S. A.-M. : C’est vrai, c’est l’erreur actuelle. Une enquête de très haut niveau est menée à présent sur cette question, et le ministère de la Défense ne peut rien communiquer à son sujet. Elle est très efficace, menée de manière impartiale... Les résultats en seront évidemment transmis au ministère de la Défense et au commandant en chef des forces armées, le Premier ministre, qui a l'a diligentée.
Mais ce qui m’a surpris, c’est la qualité des photographies, les angles, la lumière – comme si elles n’avaient pas été prises spontanément, comme si cela avait été organisé.
RT : Doutez-vous de l’authenticité de ces images ?
S. A.-M. : Non, elles sont authentiques. Tout le monde a été identifié : l’officier est sunnite et vient de Mossoul, l'homme torturé est un innocent dont le fils et les frères font partie de Daesh. Mais la qualité des photographies, l’angle, la lumière, le niveau des pixels montrent qu’il y eu probablement une collaboration entre l’officier et le photographe. C’est ce qui paraît étrange.
Cette alerte, nous allons la prendre en compte. L’officier qui a mené l'interrogatoire est actuellement détenu, à l'instar d’autres de ses collègues. On enquête pour déterminer s'il s'agit d'un cas isolé ou si ces actes ont un caractère systématique. Il faudra des sanctions fermes. Il est vrai que des choses terribles ont lieu en temps de guerre, mais nous prenons nos responsabilités.
Le rapport parle de «secret de polichinelle», mais ce n’est pas tout à fait cela. Les Irakiens prennent des mesures. Je ne peux pas en dire de même pour les Américains, car nous ne savons pas ce que font les Etats-Unis. Mais nous, nous faisons ce que nous devons faire. Nous tenons pour responsables nos officiers ayant violé les droits de l’Homme. Un soldat irakien a été exécuté il y a quelques mois pour avoir commis de telles brutalités. La magistrature prend cette affaire au sérieux. Ce que nous faisons, c’est superviser l’enquête, nous assurer que tous les responsables soient punis et que cela ne se reproduise jamais.
RT : Comment peut-on être sûr qu’une enquête soit impartiale et juste en temps de guerre ?
S. A.-M. : C’est une question de preuve. Les juges ne prêtent pas attention à qui parle, d’où vient la personne. Si une loi est violée, cela a des conséquences. Un magistrat considère les faits et en tire son jugement.
RT : Où les gens vont-ils trouver des preuves concernant ce jugement, si les médias ne sont pas autorisés à Mossoul ?
S. A.-M. : N’oubliez pas qu'il s'agit d'une zone de guerre. Tous les pays n’ont pas une attitude bienveillante envers l’Irak. Certains soutiennent ouvertement Daesh: je pense à l’argent que ces derniers reçoivent, aux hélicoptères qui leur livrent des armements. C’est une guerre, et pendant la guerre il faut contrôler les médias, surtout quand il s’agit des médias qui travaillent contre nous.
Mais je suis certain que RT fait partie de ces médias qui disent la vérité et ne fabriquent pas des sujets de toutes pièces.
Source : RT en français