Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique.
Traduction d'articles parus
dans la presse arabe ou anglo-saxonne.
Sauver Mossoul en armant les sunnites
Publié par Gilles Munier
sur
1 Octobre 2016, 07:21am
Par Jamal al-Dhari (revue de presse: New York Times, 9/9/16)*
Le premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, a déclaré que, pour la fin de l’année, Mossoul , la deuxième ville d’Irak, sera libérée du contrôle de l’Etat islamique. A ce jour M. Abadi, un chiite, a eu deux ans pour reconstruire l’armée irakienne avec le soutien de la coalition internationale. Malheureusement, l’institution est incapable de libérer, seule, Mossoul, l’obligeant à dépendre des milices chiites, certaines agissant pour le compte de l’Iran dans cette guerre.
Entre-temps les Sunnites, le principal groupe en Irak à qui on aurait dû donner un plus grand rôle pour libérer sa région, ont été marginalisés et écartés par le gouvernement de Bagdad. Cette marginalisation a été, depuis 2003, le fond commun : l’ancien premier ministre, Nouri al-Maliki, qui les avait exclus du jeu politique, a contribué à l’avènement de l’Etat islamique. Aujourd’hui, il y a un autre premier ministre, mais les mêmes politiques désastreuses. Comme le remarquait le président de l’Assemblée, un sunnite arabe, la porte est fermée pour que les Arabes sunnites se joignent à la bataille. C’est une erreur que Washington devrait corriger immédiatement car empêcher les sunnites de libérer Mossoul déstabilisera l’Irak dans les années à venir.
Les sunnites ont les capacités et sont déterminés à se battre mais il leur manque un soutien. A quelque 30 kms de Mossoul, un groupe de 2000 Arabes sunnites appartenant à des tribus et oeuvrant, avec des leaders politiques, s’entraînent. Ils sont de Mossoul et des villes avoisinantes, désireux de combattre l’Etat islamique pour reprendre leurs maisons, protéger leurs voisins et parents et défendre l’infrastructure de la ville, qui nécessitera la remise sur pied de l’économie. Mais, ces braves citoyens irakiens ne reçoivent pas la couverture aérienne ou l’équipement militaire dont ils ont besoin.
Au cours de combats précédents, le gouvernement central a suivi deux stratégies, celle de confier aux milices chiites le soin de soutenir les forces irakiennes comme cela fut le cas à Tikrit avec comme conséquence le pillage et les massacres. A Ramadi, par contre, il a préféré les bombardements aériens avec pour résultat une destruction à 80% de la ville, selon les sources officielles.
Mossoul est la plus grande ville que l’Etat islamique ait capturée. Elle est en majorité sunnite et le seul moyen de la libérer avec le moins de sang versé possible est d’engager la population locale. Inviter les milices chiites à Mossoul conduira à une réaction en chaîne de cette dernière. Certains iront jusqu’à rejoindre l’Etat islamique, le considérant comme un moindre mal comparé aux milices.
Pendant des centaines d’années, les tribus arabes sunnites ont contrôlé la région, de l’ouest de Bagdad jusqu’aux frontières avec la Jordanie et la Syrie. Ma tribu, Zobaa, est l’une des douze tribus de la région. Contrairement à l’armée irakienne composée en majorité d’Arabes chiites originaires des provinces du sud de l’Irak, ces tribus sunnites sont fondamentalement déterminées à défendre leur territoire.
Ces hommes ont risqué leurs vies dans la guerre contre les extrémistes : de 2006 à 2008, les Arabes sunnites ont vaincu al-Qaïda en Irak, dans un mouvement conduit par des chefs tribaux locaux et travaillant en coopération avec les forces américaines, sous le nom de Réveil d’Anbar (Anbar Awakening) devenu si vital pour la stabilisation de ce pays, que George Bush visita la province pour y exprimer sa gratitude. Ce mouvement a été le facteur essentiel dans la baisse de la violence en 2007 et la perte de territoires d’al-Qaïda. Les tribus patriotiques ont sauvé l’Irak de la disparition, non un gouvernement corrompu. Mais la politique sectaire du gouvernement de Maliki a gaspillé la stabilité et le sacrifice ainsi obtenus.
Les combattants des tribus sont prêts et capables de défaire une fois de plus l’extrémisme et sauvegarder leur territoire. Les chefs de la communauté sunnite ont tenu réunion sur réunion à Bagdad et Erbil. Nous avons fait sans cesse savoir nos préoccupations aux officiels américains sur ces milites chiites soutenues par le gouvernement et leur rôle dans la campagne militaire contre l’Etat islamique.
Les Etats-Unis devraient retirer leur soutien si ces milices prennent part à la bataille de Mossoul. Ils devraient, en revanche, armer les tribus sunnites des provinces d’Anbar et Ninive. Ces forces dont 2000 personnes basées près de Mossoul, peuvent se battre aux côtés des unités de Forces Irakiennes, comme le Commandement des Opérations de Ninive, les unités de contre-terrorisme irakiennes, et la 9me division armée.
Or, les Américains nous ont écartés disant que nous ne pourrions prendre part à la libération de notre ville que si le gouvernement central l’autorisait. Cela est décevant et contre-productif. Ce sont les forces tribales qui possèdent une connaissance des conditions locales, non seulement sur le terrain mais du peuple, dont beaucoup sont des parents. Les civils sunnites ne feront confiance qu’aux tribus pour les protéger.
Mais Abadi, tout comme Maliki avant lui, a peur des tribus sunnites qui menacent l’ordre d’allégeance chiite à Bagdad. Cette peur, engendrée par l’Iran et ses alliés chiites en Irak est mal venue car les forces du Réveil Sunnite ne sont jamais trouvées sur des territoires peuplés de chiites ou les zones où al-Qaïda n’était pas présent. De plus, les priver d’armement ne rend pas le gouvernement plus sûr. Si les tribus avaient été armées et soutenues par le gouvernement en 2014, l’Etat islamique ne se serait pas emparé de tant de territoire en Irak.
La libération de Mossoul est complexe et onéreuse. Elle le serait moins si la population de la ville soutenait, et ne craignait pas, ses libérateurs.
Le cheikh Jamal al-Dhari est président de l’Iraq National Project (Ambassadeurs pour la paix en Irak - PAFI).