Par Gilles Munier (Afrique Asie – septembre 2014)*
Le 1er mai 2003, George Bush avait fait placarder « Mission accomplie » sur le pont de l’USS Abraham Lincoln. Onze ans plus tard, l’Irak est une terre d’abominations. Le pire est encore à venir.
Depuis la libération de Mossoul par une coalition islamo-nationaliste sunnite hétéroclite, les djihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daash) qui participaient à l’opération ont pris le dessus sur leurs partenaires baasistes et nationalistes. Les anciens militaires du temps de Saddam Hussein, les soufis islamo-baasistes naqshabandis d’Izzat Ibrahim al-Douri, et l’Armée islamique en Irak –, organisation de résistance différente d’Al-Qaïda –, ont été dépassés par les décisions prises par Abou Bakr al-Bagdhadi, chef de Daash: proclamation du califat –, épuration religieuse et ethnique de la région de Ninive –, démolition de tombeaux de prophètes bibliques –, création d’une police religieuse -, offensive contre la Région autonome du Kurdistan… La route de Bagdad, objectif premier des révolutionnaires, est passée par Erbil. Ce n’était pas prévu.
L’Etat Islamique – nouveau nom de l’EIIL – qui dispose de stocks d’armes américaines ultra-modernes abandonnés par les troupes d’Al-Maliki, s’organise pour durer. Il s’autofinance grâce aux revenus de 7 champs pétroliers (8,4 millions de $ par jour à la mi-août), contrôle le barrage de Falloujah et des centrales électrique, recrute massivement des Irakiens n’ayant eu que la misère pour horizon, et a obtenu l’allégeance de tribus sunnites vivant près du Kurdistan. Des préfets (wali) sont nommés, ils collectent l’impôt et des taxes douanières. Des institutions caritatives ont été créées grâce à la Zakat, impôt prévu par le Coran au profit des pauvres. La conscription a été instaurée. Les fonctionnaires ont ordre de rester à leur poste. Il ne manque au califat que la légitimité et une reconnaissance au niveau international. Après les tueries et les abominations commises par l’EI contre les minorités de la région de Mossoul, c’est une autre paire de manche. Toute la question est de savoir si les révolutionnaires sunnites sont capables de reprendre la direction de leur propre camp. Pas certain. On aurait voulu discréditer leur cause qu’on ne s’y serait pas mieux pris.
« Nid de frelons »
Les Etats-Unis et l’Iran ont eux aussi été dépassés par les évènements. Pour stopper la progression de l’EI, Barak Obama et l’Union européenne livre des armes au gouvernement kurde, l’ayatollah Khameneï envoie des Basidj, des Gardiens de la révolution et son aviation soutenir les chiites irakiens. La presse iranienne s’est spécialisée dans le hoax anti-calife Ibrahim : Fars News et d’Al-Ghadeer TV, deux organes de presse iraniens, assurent – photo truquée à l’appui - qu’il s’appelle Simon Elliott, un juif israélien infiltré par le Mossad parmi les djihadistes. Une autre photo, diffusée par Al Manar, le site du Hezbollah libanais est plus crédible. On y voit un individu habillé de noir, pris de profil, ressemblant à Al-Baghdadi participer à un entretien réunissant des chefs rebelles syriens et le sénateur John McCain lors de sa visite clandestine dans le nord de la Syrie en mai 2013. Seulement voilà : sur la photo des mêmes participants, prise cette fois de face, diffusée par le site américain United Liberty, l’homme en noir n’est pas le chef de Daash.
Au registre des rumeurs circule sur Internet une révélation d’Edward Snowden affirmant que l’EI fait partie du « vieux plan américano-britannico-israélien » appelé « nid de frelons », visant à créer un nouvel islam. Il manque tout simplement la dépêche de la NSA l’attestant. L’agence azérie APA cite « des médias turcs » rapportant que l’EI veut détruire la Kaaba, et assimile les musulmans à des « adorateurs de pierres ». En somme Daash serait pour certains une sorte de résurgence de la secte ismaélienne des Qarmates qui a volé la Pierre noire en l’an 900… Ce n’est pas ce genre de débilités qui freinera l’avancée des troupes du calife Ibrahim.
Il serait plus judicieux de s’interroger sur les conditions de la libération d’Abou Du’a – futur Abou Bakr al-Baghdadi - du camp de concentration américain Bucca, près de Bassora, où il a été interné de 2005 à 2009 pour « terrorisme », et sur les raisons pour lesquelles on ne disposait, avant sa prêche à la grande mosquée de Mossoul, que de deux mauvaises photos de lui, alors que la CIA l’avait alors photographié sous toutes les coutures … Avant d’être transféré aux autorités irakiennes qui l’ont libéré – Maliki était ministre de l’Intérieur et de la Défense ! -, Baghdadi a dit sur un ton enjoué au colonel Ken King, commandant du camp, et à ses gardiens : « J’irai vous voir à New York, les mecs ! ». Les Américains se demandent aujourd’hui ce qu’il entendait par là.
Dialogue et réconciliation
Washington et Téhéran se sont mis d’accord pour que Haïdar al-Abadi, un membre d’Al-Dawa pratiquement inconnu ayant fait ses études en Grande-Bretagne, succède à Nouri al-Maliki. Ce serait un homme de dialogue. Si c’est vrai, tant mieux. Mais à qui parler? On voit mal la véritable opposition sunnite entrer dans son gouvernement tant que les prisonniers politiques n’auront pas été libérés.
Nouri al-Maliki avait raison de dire que l’actuel président de la République, le Kurde Fouad Massoum, a violé la constitution en demandant à Al-Abadi de former un nouveau gouvernement. Se souvient-il que le président Jalal Talabani avait fait de même en le désignant en 2010 ? On ne refait pas l’histoire, mais on peut tout de même penser que la coalition Iraqiya dirigée par le chiite pro-américain Iyad Allaoui et sortie vainqueur du simulacre électoral, aurait conduit le pays sous de meilleurs auspices.
En Abou Bakr al-Bagdhadi, l’Occident s’est trouvé un nouvel Hitler. Dans la guerre qui s’annonce au sol contre Daash, l’heure de vérité sonnera aux portes de Bagdad. Et après ? Après : l’inconnu… Le rétablissement de la paix civile en Irak passe par le vote d’une constitution adaptée aux réalités du pays, l’organisation de législatives véritablement démocratiques et l’élection d’un homme qui ne serait pas choisi à Téhéran ou à Washington. Vaste programme !
Photo: Prêche du Calife Ibrahim à Mossoul (4 juillet 2014)
Source : Afrique Asie (septembre 2014)