Par Gilles Munier
Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et du Tourisme (du Développement international, pour faire plus sérieux), s’est envolé vers le Kurdistan irakien, le pays des peshmerga, littéralement de « Ceux qui aiment la mort » (1).
Après la libération de Mossoul par une coalition d’organisations nationalistes arabes, patriotiques irakiennes et de djihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daash), il fallait s’attendre à ce que se reproduise ce qui s’était passé dans la région de Raqqa en Syrie : le choix donné aux non-musulmans sunnites entre accepter le statut de dhimmi, la conversion à l’islam, l’exil… ou la mort pour ceux susceptibles de combattre les nouvelles autorités.
A Raqqa, les autorités religieuses chrétiennes ont fait contre mauvaise fortune bon cœur, et conseillé à leurs ouailles de verser l’impôt réservé aux « Gens du Livre » pour rester chez eux. Cela n’a pas été le cas en Irak où, pris de panique, une première vague de chrétiens est allée se réfugier à Erbil et dans les villes et villages bordant la frontière avec la Région autonome du Kurdistan. Ils craignaient alors moins les djihadistes que les bombardements d’une contre-attaque du régime de Bagdad. La seconde vague s’est produite après que Daash, ayant pris le dessus sur les autres courants de la révolution, ait marqué leurs maisons d’un « N » rouge (pour Nazarat : chrétien), vandalisé des églises, détruit les mausolées de prophètes bibliques et attaqué les zones occupées par les peshmerga après l’effondrement de l’armée gouvernementale.
Les peshmerga se sont débandés
Massoud Barzani, président de la Région kurde, s’était gaussé de la débandade des troupes de Nouri al-Maliki, et déclaré que les peshmerga – eux - n’étaient pas du genre à reculer. Ce n’est pas ce qui s’est passé à Qaraqosh, ville chrétienne de 35 000 habitants « protégée » par les Kurdes.
Le 7 août dernier, dès l’annonce d’une offensive djihadiste sur Qaraqosh, « Ceux qui aiment la mort » se sont débandés, laissant les chrétiens désemparés, comme à Sinjar quelques jours plus tôt, où l’attaque a provoqué l’exode massif des Yézidis (2).
Aujourd’hui, Daash campe à 40 km d’Erbil, capitale de la Région autonome du Kurdistan, et tout le monde s’attend à ce que les djihadistes attaquent Kirkouk, également occupée par les peshmerga.
En Irak, djihadiste ne veut pas dire automatiquement islamiste arabe ou étranger. La coalition libératrice de Mossoul comprend Ansar al-Islam, une organisation composée de militants kurdes et arabes créée en 2001 - c’est-à-dire bien avant la naissance d’Al-Qaïda en Mésopotamie – qui a des comptes à régler avec le régime de Barzani, tout comme les islamistes kurdes syriens et irakiens membres de l’Etat Islamique.
Les Kurdes regroupés autour de Barzani feront-ils le poids face aux troupes du calife Ibrahim ? Sans aide occidentale et israélienne, il est permis d’en douter. Les peshmerga sont pratiquement imbattables comme maquisards – ils l’ont prouvé depuis la création de la République d’Irak par les Britanniques – mais manquent d’expérience en rase campagne. On se souvient qu’en 1996, lors du conflit sanglant opposant Jalal Talabani à Massoud Barzani, ce dernier avait dû faire appel à Saddam Hussein pour reprendre Erbil à son concurrent (3).
Une goutte d’eau dans un océan de malheur
A Erbil, Laurent Fabius n’a pas joué les matamores. Il a simplement proposé, sur fond d’un déchargement de vivres (spectacle inspiré des sacs de riz de Kouchner en Somalie), de lancer un « pont européen de solidarité », soit une goutte d’eau dans un océan de malheur (Cela sera très apprécié », a-t-il déclaré !). Il va aussi livrer des armes aux peshmerga, ce qui n’est pas original et qui n’empêchera pas le calife Ibrahim de dormir. Pour le reste, comme ailleurs, la politique de la France sera celle des Etats-Unis. Fermer le ban !
Massoud Barzani qui connaît l’histoire du Kurdistan depuis la chute de l’Empire ottoman - et qui n’est pas né de la dernière pluie – doit se demander si son projet de referendum pour l’indépendance du Kurdistan n’a vraiment rien à voir avec l’offensive dont sa région est actuellement la cible.
Photo: Laurent Fabius et Massoud Barzani
(1) Ou « Ceux qui vont au-devant de la mort », terme correspondant approximativement à feddayin pour les Arabes
(2) En Irak, les Yézidis, appelés à tort « adorateurs du Diable », sont menacés de génocide , par Gilles Munier (AFI-Flash – août 2014)
(3) En 1996, les Américains ont laissé les troupes irakiennes entrer au Kurdistan et écraser les partisans de Talabani, jugés trop pro-iraniens Entre 1994 et 1998, la guerre entre factions kurdes a fait plus de 3 000 morts.