Article de Gilles Munier (AFI-Flash n°111)
« Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine », écrivait Mao Tsé- Toung, dans une lettre adressée le 5 janvier 1930, aux membres du Parti communiste chinois qui doutaient de la victoire rapide de l’Armée Rouge (1). On connaît la suite.
Premiers visés : les régimes pro-occidentaux
En Tunisie, l’étincelle annonçant le grand chambardement - le suicide par le feu du malheureux Mohamed Bouazizi - a embrasé la « rue arabe » de Tunis à Amman, et ce n’est pas fini. Le temps où le Président Gamal Abdel Nasser criait à la foule: « Relève la tête mon frère, le temps de l’humiliation est passé », est de retour, porté par les mêmes exigences: l’indépendance nationale et la dignité. Tous les régimes pro-occidentaux sont visés, de l’Atlantique au Golfe. S’ils tombent : bon débarras ! Hillary Clinton, qui se demande comment canaliser tant de colère refoulée ou contenue, a raison de parler de « Tempête » s’abattant sur le monde arabe. En Egypte, pas certain que le général Omar Souleiman, 75 ans, y parvienne. Son nom est synonyme de répression des Frères Musulmans et de compromissions avec Israël. L’homme, formé en URSS, puis à Fort Bragg (Caroline du Nord) dans les années 1980, est mouillé jusqu’au cou dans le scandale des prisons secrètes de la CIA. C’est lui qui a fait interroger Ibn al-Sheikh Al-Libi, chef des moudjahidine d’Oussama Ben Laden à la bataille Tora-Bora en Afghanistan, pour lui arracher, sous la torture, de faux aveux sur les liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein et justifier l’invasion de l’Irak. Lui encore qui fait la chasse, en Egypte, aux Palestiniens du Hamas et qui contribue à affamer les habitants de la bande de Gaza.
L’heure des comptes a sonné
En Jordanie, le roi Abdallah II a pris les devants en nommant Premier ministre Marouf Souleiman al-Bakhit, son conseiller chargé du renseignement, ancien ambassadeur en Israël. Il lui a demandé de mener « des réformes politiques et économiques authentiques », mais cela ne satisfait pas le Front de l’action islamique à la pointe de la contestation. Au Yémen, Ali Abdallah Saleh est revenu sur sa décision de se faire élire président à vie. En Algérie, Abdelaziz Bouteflika a baissé le prix de l’huile et du sucre pour calmer des émeutiers. Il envisage de lever l’état d’urgence en vigueur depuis 19 ans. Au Maroc, on parle de mouvements de troupes et d’une rencontre secrète, en France, au cours de laquelle Mohamed VI aurait demandé à Nicolas Sarkozy de l’aider à museler son opposition. Le prince Moulay Hicham, surnommé le « prince rouge », cousin du roi, pense que « tous les systèmes autoritaires seront affectés par la vague de protestation », y compris dans son pays. En Irak, Nouri al-Maliki, confronté à un raz le bol grandissant, s’est engagé à ne pas briguer un troisième mandat et à restituer 50% de son salaire - 30 000 $ par mois - au Trésor public. On attend que les parlementaires irakiens en fassent autant (2), ainsi qu’Iyad Allaoui qui a monnayé sa présidence du fantomatique Conseil national pour la politique stratégique contre un salaire identique à celui du Premier ministre.
En Egypte, où l’heure des comptes a sonné, le premier acte de la révolte - la disparition de Hosni Moubarak de la scène proche-orientale - donne déjà des sueurs froides à Israël (4). Que se passera-t-il si les Frères Musulmans - demain majoritaires au Parlement - dénoncent le traité de paix avec Israël, signé par Anouar al-Sadate en 1979 ? Les Occidentaux fomenteront-ils un coup de force militaire annulant le scrutin, comme cela a été le cas, en 1991, en Algérie – avec complicité française - après la victoire électorale du Front Islamique du Salut (FIS) ? Au nom de la paix et de la démocratie, bien sûr…
(1) Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine, par Mao Tsé-Toung
(2) Les parlementaires irakiens s’empiffrent, par Gilles Munier - http://0z.fr/McrPF
(3) Pourquoi la révolution égyptienne me fait peur, par Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël à Paris (Marianne - 5/2/11)