Par Me Maurice Buttin (24 mai 2024)*
Il y a un peu moins d’un an, la Cour Pénale Internationale délivrait un mandat d’arrêt à l’encontre de Vladimir Poutine. Une première ! Jamais un chef d’Etat, membre du Conseil de Sécurité, qui plus est, n’avait été poursuivi de la sorte. Le président des Etats-Unis, Joë Biden, applaudissait à la décision, suivi par nombreux dirigeants occidentaux.
J’écrivais à ce sujet un article, publié le 1er juillet 2023, intitulé : « La Cour Pénale Internationale. Oui… mais dans l’ordre ! ». J’estimais qu’avant Vladimir Poutine, en effet, d’autres hauts responsables avaient choisi de primer dans leur politique la force sur le droit. A tout seigneur tout honneur, je citais Joë Biden pour son rôle majeur dans la guerre en Irak (2003-2004) alors qu’il était sénateur du Delaware, et, plus récemment, ajoutai-je, comment ne pas citer les dirigeants israéliens, que ce soit par exemple le premier ministre Benyamin Netanyahou ou le général Ehud Barak, ex-premier ministre également, tous deux responsables du massacre contre les Gazawis en juillet-août 2014 - près de 2 200 morts des centaines de blessés palestiniens et d’immenses destructions immobilières.
Une nouvelle guerre avait été déclenchée par Israël au printemps 2021. Le journal Le Monde, dans son éditorial du 13 mars 2021, notait : « La saisie de la Cour Pénale Internationale (CPI) est l’ultime planche de salut des Palestiniens. C’est un test de crédibilité pour Joe Biden et pour toutes les capitales occidentales qui prétendent défendre la solution à deux Etats. Nul ne peut être au-dessus du droit international ».
A la demande des Palestiniens, une première plainte était déposée par son conseil Me Gilles Devers, avocat international inscrit au barreau de Lyon « sur les crimes commis par Israël dans la Palestine occupée pendant la guerre de l’été 2014 et la Grande Marche du retour à Gaza ». Une enquête, envisagée par la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, était confirmée le 3 mars 2021, tant sur les crimes commis par Israël, que sur ceux commis par le Hamas.
Netanyahou, qualifia immédiatement la CPI de « tribunal politique » et ajouta, cette décision est purement et simplement de « l’antisémitisme » ! Le Premier ministre palestinien, Mohammed Shtayyeh, lui, salua : « une victoire pour la justice et l’humanité, pour les valeurs de vérité, d’équité et de liberté, et pour le sang des victimes et de leur famille ». L’ONG israélienne des droits de l’homme B’Tselem, affirma, elle, avec courage, « cette décision donne l’espoir pour une fin de l’impunité ».
Comme par hasard, les Etats-Unis s’étonnèrent de cette décision, rejoints par l’Allemagne et la Hongrie. Ah ! l’impunité d’Israël ! En septembre 2020, Donald Trump avait d’ailleurs pris des sanctions contre la procureure Fatou Bensouda, et un autre responsable de la CPI - qui avaient lancé une enquête sur les crimes commis par les étasuniens en Afghanistan…
Sur plainte cette fois de l’Afrique du Sud contre Israël, en urgence, le 31 décembre 2023, pour génocide, la CIJ rendait une décision provisoire le 26 janvier 2024. Elle demandait à Israël de s’abstenir désormais de tout acte de meurtre, d’attaque et destruction à l’encontre des habitants de Gaza et de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir un génocide, au sens de l'article 2 de la convention sur le génocide. Israël n’en a tenu aucun compte. L’armée a continué à bombarder, occupé et rendu inopérant de nombreux hôpitaux et frappé plusieurs centres de santé, dont l'hôpital Nasser de Gaza
Mieux, dans les jours qui ont suivi le nombre de camions autorisés par Israël à entrer dans la bande de Gaza a diminué de 40 % ! Moins de 100 contre 500 chaque jour avant le 7 octobre, malgré le blocus. Les Nations Unies prévenaient que les 2,2 millions de personnes dans la bande de Gaza risquaient de souffrir de la famine en raison de l’agression redoublée de l’armée israélienne.
Une nouvelle plainte devant la CPI était déposée contre Israël, le 9 novembre 2023 par Me Devers, auquel s’étaient joints près de 200 associations et près de 300 avocats français et internationaux, représentant des dizaines de Palestiniens, « pour crime de génocide, transfert de population et autres crimes ».
La procureure Fatou Bensouda avait terminé ses neuf années de mandat. Son successeur, le britannique Karm Khan, a repris et fait avancer son enquête, d’autant qu’était venue se rajouter la nouvelle plainte.
Finalement, il a requis, le 20 mai 2024, un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense, Yoav Gallant et contre trois dirigeants du Hamas, Yahya Sinwr, le responsable du mouvement dans la bande de Gaza, Ismaël Haniyeh, le chef du Mouvement et Mohammed Deif, le chef des Brigades Al Qassam, accusés de crimes contre l’humanité commis durant les massacres du 7 octobre 2023 et l’invasion israélienne à Gaza.
Le Premier ministre israélien a crié au scandale, suivi par son fidèle allié Joë Biden, jugeant, lui aussi, le mandat d’arrêt « scandaleux ». Comme par hasard ! Le Président étasunien ne risque-t-il pas d’être aussi poursuivi comme complice vu les livraisons d’armes des Etats-Unis à Israël depuis le début du conflit ?
La France a affirmé son soutien à la CPI, à « son indépendance » et à « la lutte contre l’impunité dans toutes les situations », le ministère des Affaires étrangères rappelant la condamnation par notre pays des « massacres antisémites perpétrés par le Hamas » le 7 octobre dernier, tout en affirmant « le caractère inacceptable des pertes civiles dans la bande de Gaza et d’un accès humanitaire insuffisant ». Massacres « antisémites » ? Non, d’Israéliens fussent-ils juifs. Evoquant les « pertes civiles » du côté palestinien, pourquoi dans ce cas n’a-t-il pas ajouté « musulmanes et chrétiennes » ? D’un conflit éminemment politique pense-t-il à un conflit religieux ?
Il est très vraisemblable que la CPI suivra la requête du procureur. Cette décision sera très importante car elle mettrait fin à l’impunité des dirigeants israéliens, donc de l’Etat d’Israël, depuis sa création en 1948. Les Etats-Unis ne pourront pas opposer un 36ème véto. Désormais le droit international devra être respecté, le droit primera enfin sur la force.
*Me Maurice Buttin, président par intérim du CVPR, membre des C.A. de « Pour Jérusalem » et des « Amis de Sabeel-France ». Membre de l’AFPS 14° Paris