Par Me Maurice Buttin*
Monsieur le Président,
Lors de votre rencontre avec le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, vous avez repris le dire, entendu tant de fois depuis le 7 octobre dernier, d’hommes politiques français ou étrangers, de journalistes, voire d’experts (?) : « Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien » ! Comment avez-vous pu relancer une pareille affirmation ? Vous n’ignorez pas que non seulement le peuple palestinien, mais tous les peuples arabes sont derrière le Hamas, mouvement de résistance, dans l’action qu’il a engagée contre les Israéliens - même si leurs dirigeants feignent très courageusement de ne pas suivre. Le Hamas n’a-t-il pas gagné les dernières élections, d’une manière très régulière, en 2006 ? Vous avez, semble-t-il tenter d’enfermer le Président Abbas sur cette question. Son silence éloquent à ce sujet vous a, je l’espère, convaincu. Il n’a pas une fois cité le Hamas, mais, en revanche, il a déclaré Israël entièrement responsable des évènements. Il n’est pourtant pas un ami de ce Mouvement, dont certains des membres le traitent de « traitre à la cause palestinienne ».
De leur côté, les Eglises chrétiennes palestiniennes sont très claires. Je cite un extrait de leur Déclaration Kairos Palestine sur la guerre à Gaza, le 11 octobre :
« Non à la guerre, Oui à une paix définitive. Mais quel est donc cette guerre si soudaine qui a été lancée de Gaza ? La cause immédiate a été la formation du gouvernement israélien d’extrême droite qui a permis et encouragé les attaques contre la mosquée Al Aqsa, et qui a défié les sentiments religieux des musulmans, comme des chrétiens, malgré les ultimatums et les avertissements successifs qui sont venus de Gaza, des dirigeants palestiniens et d’autres dirigeants religieux et politiques du monde entier. (…) Quant aux causes profondes de la guerre, ce sont l’état de guerre permanent dans lequel nous Palestiniens vivons quotidiennement du fait de la domination et de la tyrannie de l’arme israélienne d’occupation et l’insistance absolue des gouvernements israéliens successifs, et en particulier du gouvernement actuel, qu’il n’existe pas d’Etat palestinien et que le peuple palestinien n’a pas droit à l’autodétermination, avec toutes les conséquences qui en découlent ». (Je précise : cf. la loi fondamentale du 19 juillet 2018 sur « Israël, l’Etat nation du peuple juif » qui en son article 1 alinéa C indique que « Le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’Etat d’Israël est réservé au peuple juif »)
Vous avez consacré la première partie de votre intervention, la plus longue, à condamner le Hamas « parti terroriste »., que vous semblez assimiler au Daesh, ce qu’il n’est certes pas. Incontestablement, en tuant des civils, ce Mouvement a causé des crimes de guerre et pourrait être considéré comme tel. Mais, en parallèle, je vous mets au défi de qualifier Israël d’Etat terroriste. Pas seulement à cause des massacres actuels de la population de Gaza, mais de tous les massacres antérieurs à Gaza, par exemple en 2014, où l’opération « Bordure protectrice » a causé la mort de 2400 Gazaouis, particulièrement des civils ; en 2018, où, tranquillement installés au sommet d’une butte de sable, des soldats israéliens ont organisé une « chasse aux pigeons » et tué près de 300 « jeunes Gazaouis - qui n’étaient pas du Hamas - lors de la « Grande marche du retour » non violente ; ou au moment des deux Intifadas (soulèvement contre l’occupation) en Cisjordanie. Comme l'écrit le journaliste israélien Gideon Levy dans le Haaretz du 9 octobre : « Samedi, ils (les dirigeants israéliens) parlaient déjà d’éliminer des quartiers entiers de Gaza, d’occuper la bande et de punir Gaza « comme elle n’a jamais été punie auparavant ». Mais Israël n’a jamais cessé de punir Gaza depuis 1948, pas même un instant (…) Nous n’avons rien appris. L’arrogance est là pour rester, même si Israël paye le prix fort. (…)
Nous devons maintenant pleurer amèrement les victimes israéliennes, mais nous devons aussi pleurer pour Gaza ».
Pourquoi cette éternelle différence entre celui qui n’a qu’une pierre, une arme blanche ou un fusil pour tuer, et celui qui tue aveuglement à l’aide d’avions de chasse et de bombardiers ?
Comment dans ces conditions votre proposition d’organiser une coalition contre le Hamas a-t-elle une chance d’aboutir – à moins d’être aussi dirigée contre Israël ?
Vous avez terminé votre intervention par là où vous auriez dû commencer : la nécessité pour les Israéliens de reconnaître les droits du peuple palestinien. Vous avez évoqué, comme tous les dirigeants occidentaux, le droit à un Etat pour les Palestiniens. Mais cet Etat, proclamé en 1988, existe. Il est même membre observateur aux Nations Unies. Seulement, il est occupé depuis juin 1967, avec la bande de Gaza maintenue depuis 2007 comme une « prison à ciel ouvert ». Qu’avez-vous fait et qu’ont fait les dirigeants occidentaux - en dehors de Donald Trump donnant, contrairement au droit international, Jérusalem aux Israéliens - pour que cette occupation cesse ? Rien, sinon de beaux discours : des « mises en garde », des « inquiétudes », des « préoccupations, des « blâmes », « une sévère réprimande », une « énième protestation », voire une « condamnation », etc. Jamais la moindre sanction, malgré les refus d’Israël, d’appliquer les Résolutions des Nations Unies. Ainsi, grâce à ces déclarations, dont Israël se moque éperdument, il bénéficie d’une impunité qu’aucun autre Etat ne connait.
Plus que votre idée d’une grande coalition contre les mouvements terroristes - en l’état le Hamas - la décision de la France de reconnaître l’Etat palestinien, ou de menacer Israël de reconnaître l’Etat palestinien dès maintenant, pourrait sans doute obtenir d’Israël le cessez le feu qui s’impose pour éviter ce que d’aucuns appellent déjà un « génocide » du peuple palestinien de Gaza.
Je terminerai en citant la courageuse association israélienne B’Tselem, qui avec des journalistes comme Amira Hass, et Gideon Levy dans le journal de gauche Haaretz,
Ilan Pappe, Breaking the Silence, la fille du général Peled, Nurit - dont la fille est morte dans un attentat il y a des dizaines d’année - et autres associations, sont l’honneur d’Israël. B’Tselem soulignait en 2022 « l’effet néfaste du choix fait des responsables internationaux (…) de se contenter de paroles et de déclarations creuses plutôt que d’agir et de forcer Israël à payer le prix de sa politique ».
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’assurance de ma haute considération.
*Me Maurice Buttin, avocat honoraire à la Cour. Président par intérim du « Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient. » (CVPR PO) - Membre des C.A. de « Pour Jérusalem », des « Amis de Sabeel-France » , de « Chrétiens de la Méditerranée », Membre de l’AFPS et du Parti socialiste (depuis Juin 1971)