Octobre 2022 : les Palestiniens se rassemblent au port maritime de la ville de Gaza pour réclamer leur droit d’accès au gaz d’un gisement maritime et pour demander la fin du blocus israélien sur Gaza.
Par Motasem A. Dalloul (revue de presse : ISM – 21/10/22)*
Depuis le début du mois d’octobre, les médias font état d’un accord tripartite entre l’Egypte, l’Autorité palestinienne et Israël pour développer un champ de gaz naturel au large de la bande de Gaza sous blocus. Lundi encore, l’agence de presse Wafa rapportait que le Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammad Shtayyeh, avait déclaré que l’AP avait sélectionné un groupe de ministres pour discuter de la question du gaz palestinien avec l’Égypte et suivre la question avec le Fonds d’investissement palestinien (FIP).
Mardi, la radio nationale israélienne Kan a révélé que cet accord trilatéral avait été conclu entre l’Égypte, l’AP et Israël, mais aucun détail n’a été fourni.
L’exploration gazière au large des côtes de Gaza a commencé en 1999. Un an plus tard, la British Gas Company (aujourd’hui le groupe BG) a découvert du gaz dans un champ connu sous le nom de Gaza Marine. Il se trouve à environ 30 kilomètres à l’ouest de la bande de Gaza et on estime qu’il contient plus de 1.000 milliards de pieds cubes de gaz naturel.
Le coût du développement du champ est estimé à environ 1,2 milliard de dollars. Il est resté inexploité car le FIP, qui est responsable de son développement, n’a rien pu faire en raison des restrictions imposées par l’occupation israélienne. Même le groupe BG a été obligé de mettre fin à son contrat avec le FIP en raison des obstacles israéliens.
Depuis mardi, un certain nombre de rapports affirment qu’Israël, l’Autorité palestinienne et l’Égypte bénéficieront du gaz naturel extrait de Gaza Marine. Toutefois, le même jour, Anadolu a rapporté qu’une source palestinienne anonyme avait déclaré que les rapports sur l’accord tripartite étaient « inexacts ». La source a déclaré qu’Israël ne tirera rien de « notre » gaz. « C’est inacceptable », a-t-il insisté. « On demande simplement à Israël de ne pas faire obstacle aux travaux ».
Ce n’est pas ce que m’a dit un journaliste israélien. Selon Baruch Yedid, Israël aura en effet une part importante des revenus de Gaza Marine.
Selon d’autres sources rapportées par Al Araby Al Jadeed, une délégation égyptienne chargée de l’économie et de la sécurité a discuté avec Israël de la question du développement de Gaza Marine. Un membre du comité exécutif de l’OLP a déclaré à Al Monitor que l’Égypte avait informé l’AP de l’approbation d’Israël pour commencer à développer le champ gazier palestinien au large de la côte de Gaza. Selon Al Araby Al Jadeed, l’Egypte a tenu plusieurs « réunions secrètes » avec des responsables israéliens pour obtenir l’accord de l’Etat d’occupation pour commencer à développer Gaza Marine conjointement avec l’AP.
Les efforts égyptiens pour obtenir une part du gaz ont commencé l’année dernière lorsque, selon Egypt Independent, la Egyptian Natural Gas Holding Company (EGAS) a entamé des discussions avec le FIP et la Consolidated Contractors Company for Oil and Gas (CCC), les parties autorisées à développer le champ. Le PIF détient 27,5 % des parts du champ, la CCC 27,5 % et 45 % seront destinés à la société d’exploitation. EGAS espère être le développeur.
Un haut responsable de l’AP, qui a demandé à rester anonyme, m’a dit qu’un accord initial avait été conclu, mais qu’un accord final devait encore être signé. Il n’a pas mentionné de calendrier, mais des rapports affirment que cela pourrait se faire d’ici la fin de l’année. Le fonctionnaire a également déclaré qu’Israël a accepté de s’engager dans des discussions sérieuses sur le gaz à la demande de l’UE, « dans l’espoir que ce gaz finisse dans les cuves de stockage européennes. »
Le fonctionnaire a expliqué qu’en vertu de l’accord initial, l’Égypte et Israël surveilleront les opérations dans le champ gazier, l’Égypte absorbant une partie du gaz d’ici 2025, si tout se passe bien. La majeure partie du gaz sera envoyée en Europe par Israël, qui partagera les revenus qui en découlent avec l’AP.
Selon le responsable anonyme de l’AP, une partie des revenus sera consacrée au développement de l’économie palestinienne à Gaza. « Israël, cependant, veut s’assurer qu’aucune partie de l’argent ne va au Hamas ». L’État d’occupation affirme depuis des années qu’il a bloqué le développement de Gaza Marine, craignant que le Hamas, qui est l’autorité de facto dans l’enclave assiégée depuis 2006, ne bénéficie des profits.
En 2007, Moshe Ya’alon, alors ministre israélien de la Défense, a affirmé que le Hamas aurait utilisé les revenus de Gaza Marine pour financer des attaques contre Israël, l’Autorité palestinienne et les « installations gazières israéliennes ». Depuis lors, rien n’a changé sur le terrain : le Hamas gouverne toujours la bande de Gaza, et le blocus israélo-égyptien, soutenu par l’AP et certains pays arabes et européens, est toujours en place. Et Israël continue de vanter ses craintes en matière de « sécurité ».
Ce qui a changé, en revanche, c’est l’émergence d’une demande européenne de gaz due à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que le sérieux besoin de financement de l’AP, que les pays arabes et européens ainsi que les États-Unis sont soit incapables, soit réticents à fournir.
Il est désormais clair que tout le monde va bénéficier du gaz naturel au large de Gaza, sauf ceux qui en ont probablement le plus besoin : les Palestiniens du territoire assiégé. L’Égypte gagne en tant que promoteur, l’Autorité palestinienne obtient les revenus en tant que propriétaire nominal, Israël prend une part du gâteau en tant que facilitateur et l’UE reçoit le gaz en tant que consommateur. Pendant ce temps, les habitants de Gaza, qui souffrent d’une grave pénurie de gaz de cuisine, de pétrole et d’électricité depuis plus de quinze ans, devront assister en silence au vol de leurs ressources naturelles sous leur nez.
Personne ne croit qu’une partie des revenus de Gaza Marine sera utilisée pour relancer l’économie de Gaza. Cela fait des années que nous entendons promesse sur promesse sur ces questions, et rien ne s’est jamais concrétisé, parce qu’Israël revient toujours avec une nouvelle question de « sécurité » et refuse d’alléger ou de lever le siège. L’AP, quant à elle, affiche très ouvertement son mépris pour les Palestiniens de Gaza, de sorte que les promesses de Ramallah sont sans valeur.
Motasem Ahmed Dalloul, journaliste et spécialiste des affaires du Moyen-Orient. Titulaire d'une maîtrise en journalisme international de l'Université de West Minister à Londres. Il est rédacteur pour le Middle East Monitor. Retrouvez-le sur Twitter : @AbujomaaGaza et sur Facebook
*Source : ISM-France (International Solidarity Movement)
Version originale : Middle East Monitor / Traduction MR