Les tensions entre États-Unis et Iran pourraient déboucher sur une guerre embrasant le monde par le jeu des alliances entre nations.
Par Yves Montenay (revue de presse : Contrepoints – 29/6/19)*
Les guerres ne surviennent pas accidentellement. Ou plutôt si un accident les déclenche, c’est parce qu’il existe des raisons plus profondes.
Or les raisons, il y en a beaucoup. Voilà 40 ans que cette guerre est annoncée, il y a eu des moments très chauds, et cette fois « ça brûle », comme disent les enfants. Et un peu comme en 1914 où un incident isolé, l’attentat pro-serbe de Sarajevo dont on fête l’anniversaire ce 28 juin, avait fait jouer une cascade d’alliances de chaque côté et déclenché la pire des guerres que l’Europe a subie… et dont elle ne s’est jamais remise.
« Comme en 14 », le jeu des alliances
Tout d’abord parler d’une guerre entre les États-Unis et l’Iran ne permet pas de comprendre la situation. Comme en 1914 et 1939, il y a tout un jeu d’alliances pouvant mener à un embrasement général !
Israël et l’Arabie poussent les États-Unis « à agir », tandis que la Syrie est avec l’Iran, ce qui implique la Russie. Et l’Iran est proche de la majorité chiite de l’Irak, de la quasi majorité chiite du Liban, de l’opposition chiite majoritaire à Bahreïn, des chiites « houtis » du Yémen sans parler de la minorité chiite d’Arabie, peu connue.
Voyons cela de plus près :
Les alliances américaines
D’abord les deux alliés des États-Unis au Moyen-Orient sont des boutefeux et ont vis-à-vis de l’oncle Sam un comportement « d’enfants gâtés », c’est-à-dire de demandes non raisonnables écoutées par des parents oubliant leurs bons principes.
C’est d’abord le cas d’Israël, ou du moins de l’Israël de Benjamin Nétanyahou, actuellement au pouvoir.
En Israël, Nétanyahou joue et gagne en alarmant le pays sur le danger palestinien appuyé par le danger iranien. Il ne s’agit pas ici de dire s’il a tort ou raison, mais de rappeler une donnée. Danger iranien car les troupes de ce pays sont à la frontière israélienne en Syrie, tandis qu’à sa frontière nord on trouve le Hebzbollah chiite libanais assimilé à un vassal de Téhéran.
Et surtout les discours des responsables iraniens évoquent à la fois la nécessaire destruction d’Israël et la nécessité de posséder l’arme nucléaire. Est-ce purement rhétorique et à usage interne, comme en Arabie, que ça n’empêche pas d’être l’allié de fait d’Israël, ou est-ce à prendre au pied de la lettre ? Je n’en sais rien mais rappelle que bien des gouvernements ont été prisonniers de leur propre discours. En tout cas c’est du pain bénit pour Nétanyahou et sa stratégie électorale d’affolement des populations israéliennes.
Or Israël est puissant aux États-Unis, et cela est renforcé par la bonne entente entre Donald Trump et Benjamin Nétanyahou. Puissant, non pas du fait du lobby juif américain comme on l’imagine souvent, notamment dans les pays arabes, mais de puissant lobby protestants, vivier électoral des républicains.
En effet si les Juifs américains sont souvent « à gauche » et votent démocrate comme les autres minorités (je simplifie), ce n’est pas le cas des forts courants protestants bien plus importants, pour lesquels le mot « Israël » signifie à la fois un pays et une vision religieuse liée à « la fin des temps ».
Pour eux, « soutenir Israël » va dans le sens des injonctions bibliques et est totalement indépendant du problème concret, souvent ignoré par l’Américain moyen. Bref Israël est davantage qu’un allié et fait quasiment partie du patrimoine politico-religieux des États-Unis.
L’autre allié local des États-Unis est l’Arabie Saoudite, alliance renforcée également par des liens personnels entre la famille Trump et le prince héritier Mohamed ben Salman, que l’on se garde d’accuser du meurtre du journaliste Khassodggi et des coups de fouet aux militantes féministes emprisonnées. La presse américaine est parfaitement au courant, mais ça ne franchit pas les murs de la Maison Blanche, malgré un deuxième « petit défaut » de ce dit allié, le déluge télévisuel et financier en faveur des wahhabites, donc un discours anti occidental partout dans le monde.
Les alliances iraniennes
On cite en général le fameux « arc chiite » et sa solidarité avec l’Iran. Certes tous les chiites ne veulent pas la guerre, et certains auront un choix douloureux à trancher.
En Syrie le régime ne tient que par les troupes iraniennes et l’aviation russe. Le pays est matériellement détruit et dans un état catastrophique sur le plan humain. Une part importante de la population et des classes moyennes s’est réfugiée à l’étranger. Et presque tous ceux qui sont restés, y compris le rameau chiite des Alaouites au pouvoir et les chrétiens, ne suivent Assad que parce que c’est le plus fort et un moindre mal par rapport aux islamistes. Mais presque tous ont subi eux-mêmes, ou leurs familles, arrestations, tortures et souvent exécution. Donc il n’est pas certain que du sommet au bas de la hiérarchie sociale on souhaite une nouvelle guerre. Mais on n’a pas le choix : c’est l’Iran qui commande.
La guerre a d’ailleurs commencé puisqu’Israël bombarde déjà des installations iraniennes en Syrie. Cela obligera un jour ou l’autre la Russie qui protège le ciel syrien à intervenir. À contrecœur probablement. Ils arrêtent déjà une partie des missiles israéliens, mais que se passera-t-il s’ils abattent un de leurs avions ? Les Israéliens résisteront-ils à la tentation de représailles ?
Le principal pays chiite par sa population est l’Irak. L’Iran a veillé à resserrer les liens religieux avec l’Église (le mot n’est pas totalement inapproprié) de la majorité chiite et a gardé des liens avec ses puissantes milices. En sens inverse, les chiites irakiens sont arabes et non perses, et ont participé sans se rebeller à l’armée irakienne lorsqu’elle a attaqué l’Iran en 1980. Mais c’était du temps de Saddam, la situation a beaucoup évolué depuis et finalement l’Irak devrait être allié ou neutre dans cette éventuelle guerre. Même dans ce dernier cas, il serait bien utile à l’Iran pour les contacts avec l’extérieur.
Les chiites du Liban, pendant longtemps petite minorité défavorisée, approchent maintenant de la majorité démographique notamment du fait de l’émigration chrétienne. Sa milice est officiellement tolérée à côté de l’armée libanaise, et reçoit un matériel iranien moderne notamment des missiles pointés sur Israël. Là aussi le cycle provocation-représailles peut se lancer à tout moment, par accident ou avec une arrière-pensée politique libanaise ou israélienne.
Les chiites, variante « houtie », du Yémen sont déjà en guerre avec l’appui de l’Iran contre l’Arabie appuyée par l’Amérique. Donc là aussi la guerre a commencé.
Les autres groupes chiites s’échelonnent le long du golfe persique (pardon, du « golfe arabique » … il y a déjà une guerre du vocabulaire). Ils n’ont pas de puissance militaire mais l’exaspération et la répression peut entraîner des attentats, qui eux-mêmes…
Hors Moyen-Orient, les autres pays ne sont pas directement partie prenante, ou sont sans influence comme l’Europe. Mais ils peuvent avoir des arrière-pensées et certains peuvent être tentés par les bénéfices à tirer d’éventuelles hostilités. Certains s’interrogent sur les idées turques ou chinoises.
En fait les idées ne se préciseront que lorsque l’on saura quelle forme prendra le conflit. Elle ne sera probablement pas classique, puisque les deux principaux intéressés à des milliers de kilomètres l’un de l’autre.
Et puis, de quelle guerre parle-t-on ?
L’Iran est un grand pays tant par sa population que par sa superficie. Il comprend des déserts et des montagnes. En outre, si l’armée iranienne est gênée par les sanctions, son personnel est tout à fait qualifié. Bref l’Iran ne serait pas facile à envahir et encore moins à contrôler par les Américains, même aidés par les Israéliens et les Séoudiens. Les Israéliens peuvent aider sur le plan technologique, les Séoudiens par leur position géographique, mais rien de plus si on en juge par leurs difficultés militaires au Yémen.
De plus Donald Trump s’est dit toujours opposé à l’envoi de troupes américaines à l’étranger, ce en quoi il a probablement raison tant d’un point de vue électoral que du point de vue efficacité.
En effet, les Américains n’ont pas brillé sur le terrain en Irak ou en Afghanistan, bien qu’ils aient plutôt été bien accueillis au départ par une partie de la population soulagée du départ de Saddam ou des talibans.
Il y a de multiples raisons à cela mais je voudrais insister sur une rarement citée : le vase clos culturel. Combien de militaires de haut ou moyen rang avaient une connaissance de l’histoire de ces pays et notamment des racines de l’antiaméricanisme ? Du troufion de base au général, combien avaient une connaissance de l’islam local (ou plutôt des islam locaux), Combien avaient une connaissance de l’arabe, sans parler des langues locales comme le kurde et les diverses langues de l’Afghanistan ?
Il a fallu paraît-il deux ans pour qu’arrive aux fantassins américains en Irak un petit carnet expliquant comment dire en arabe « haut les mains » et autres expressions basiques. Consciemment ou inconsciemment beaucoup d’Américains imaginent que tout le monde parle anglais. Et du coup n’apprennent plus les langues étrangères.
Ce faisant, ils se mettent entre les mains d’interprètes ou d’affairistes. Or les interprètes peuvent trahir soit par conviction personnelle, politique, patriotique ou religieuse, soit parce que l’adversaire menace sa famille. Quant aux affairistes, ce qui les intéresse c’est l’argent ou le matériel de l’armée américaine, ou encore de mener au pouvoir telle tribu qui n’est pas forcément celle souhaitée par la population.
Bref, même s’il devait y avoir une guerre, on ne verra pas de débarquement américain en Iran. Par contre on pourrait voir un débarquement iranien dans les Emirats ou en Arabie !
En attendant on se dirigerait plutôt vers une guerre aérienne et navale avec notamment le blocage du détroit d’Ormuz. Mais sans destruction des sites iraniens de fabrication des bombes atomiques, qui sont depuis très longtemps très profondément enfouis dans la roche. Faute de résultats décisifs, les va-t-en-guerre des deux camps chercheront autre chose, peut-être une intervention israélienne en Syrie qui pousserait la Russie à intervenir.
Les Américains vous diront que leur action va pousser la population iranienne à se révolter contre le régime. Peut-être. Mais les Iraniens sont patriotes et l’appareil répressif du pouvoir islamiste ne serait pas forcément anéanti par quelques bombardements.
Notre Jupiter fait ce qu’il peut pour éviter l’incendie. En homme cultivé il sait que « 14–18 » fut accidentel mais catastrophique, avec notamment la fin du français langue internationale, l’hégémonie américaine remplaçant celle de l’Europe. Et la montée du Japon dont l’orgueil le mènera à attaquer les États-Unis une vingtaine d’années plus tard. Et on voit bien les candidats à la succession des États-Unis ou du Japon d’hier.
Jupiter, patron des dieux antiques, n’a pas pu éviter la guerre de Troie ! Ni les catastrophes ayant frappé les vainqueurs comme les vaincus. Il en a été de même après 1918. Attention !
*Polyglotte, Yves Montenay est doté d'une riche carrière internationale nord-sud de cadre, conseil et chef d'entreprise. Démographe de formation, passionné d’histoire, d’économie et de géopolitique il est actuellement écrivain, consultant et enseignant. Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations nord-sud, notamment le Mythe du fossé Nord Sud, ainsi que Nos voisins musulmans, il publie également Les Echos du monde musulman, une revue hebdomadaire de la presse orientale et parfois occidentale sur le monde musulman, avec une priorité donnée à l'humanisation des récits. Il tient le site yvesmontenay.fr et un compte Twitter « @ymontenay».
*Source : Contrepoints
Avertissement : Les articles publiés en revue de presse ont pour objectif de permettre aux lecteurs de participer au débat sur la situation qui prévaut « du Golfe à l’Atlantique ». De ce fait, ils ne reflètent pas toujours la position de France-Irak Actualité.