Par Gilles Munier/
Le président égyptien Mohamed Morsi, élu plus ou moins démocratiquement, puis renversé par un coup d’Etat militaire, a été condamné à la prison à vie, après l’avoir été à mort. Des dizaines de milliers de prisonniers politiques – de tous bords - sont incarcérés, torturés dans les prisons du nouveau régime. Et Abdel Fatah al-Sissi, son successeur illégitime, est reçu avec tous les égards à l’Elysée. « Circulez », nous dit à sa façon Emmanuel Macron, « en Egypte, il n’y a rien à voir… ».
Toujours rien à voir ? Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères français avait justifié son refus de parler « juridiquement de coup d’Etat » en disant que cela impliquerait l'arrêt de l'aide internationale à ce pays, que ce n’était pas « le moment de rendre la situation économique plus difficile ». Des mots… Depuis, la situation s’est aggravée : marasme économique (fin 2016, 8,83 livres égyptiennes équivalaient à 1 dollar, aujourd'hui, il vaut 16,5 livres.), mauvaise gouvernance (îles stratégiques du détroit de Tiran cédées à l’Arabie saoudite – barrage éthiopien risquant d’assécher la vallée du Nil - montée du terrorisme).
A l’occasion de la visite officielle du maréchal Sissi en France, je me suis replongé dans « Main basse sur l’Egypte » de Farid Omer, paru chez L’Harmattan en mars dernier.Correspondant permanent au Caire des quotidiens suisses La Tribune de Genève et 24 heures, d’octobre 2011 à janvier 2016, Farid Omer a été témoin des manifestations de la place Tahrir et de la chute de Hosni Moubarak. Il a assisté à l’élection de Mohamed Morsi et au coup d’Etat militaire qui l’a renversé. Il était donc bien placé pour raconter (c’est le sous-titre du livre) : « Comment l’ancien régime a mené à bien sa contre-révolution ».
Je pense que si Mohamed Morsi n’était pas un militant musulman, membre de l’organisation des Frères Musulmans diabolisée à outrance, s’il n’avait pas été à Téhéran pour rencontrer l’ayatollah Ali Khamenei pour rétablir les relations diplomatiques avec l’Iran, et à Gaza serrer la main d’Ismaïl Haniyeh, chef du gouvernement du Hamas, il aurait les faveurs des médias, du moins de ceux qui prétendent défendre les droits de l’homme.
Le tort de Mohamed Morsi est d’avoir voulu réformer l’Egypte en douceur, alors qu’il aurait dû provoquer un grand chambardement politique et économique, prendre les militaires de vitesse. Etant donné la suite, qu’avait-il à perdre ?
Reste à savoir si le long compagnonnage des Frères Musulmans avec la CIA n’est pas pour quelque chose dans son échec. Lui a-t-on assuré que le CFSA (Conseil suprême des forces armées) n’oserait pas le renverser ? La CIA était aussi à la manœuvre dans le camp adverse. En allant à Téhéran et à Gaza, Mohamed Morsi avait-il franchi la ligne rouge à ne pas dépasser, tracée par Washington et Tel Aviv ?
« Main basse sur l’Egypte » est riche d’enseignements. Bien écrit et bien documenté, il se lit - qui plus est - comme un roman. J’en conseille tout particulièrement la lecture à ceux qui militent – dans le monde arabe - pour se débarrasser de régimes militaires qui n’osent pas dire leur nom. Je pense notamment aux Algériens.
La maffia galonnée qui dirige leur pays depuis des décennies a très certainement dans ses tiroirs des scénarios lui permettant de revenir en force le jour où un pouvoir populaire la remplacera. Le coup d’Etat militaire à l’ancienne est médiatiquement démonétisé, il y a plus subtil. Celui organisé contre le président égyptien Morsi fera école.
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