Par Andrew J. Bacevich (revue de presse : tomdispatch.com – 7/5/17)*
L’élection de Trump a donné lieu à des affirmations enflammées de la presse élitiste pour un engagement renouvelé de ne dire rien que la vérité. Le leitmotiv récurent est : vous savez qu’il ne dit pas la vérité mais faites-nous confiance pour que nous le harcelions en votre nom……Si seulement c’était le cas. Comme ce serait formidable que la prise de pouvoir par Trump coïncide avec le renouveau d’un journalisme américain percutant, profond et tout azimut. Hélas, rien de tel ne s’est passé….. Cela dit, mettre le doigt sur les mensonges du Président, sur le crédit dont il se vante pour des réalisations inexistantes ou sa rétraction de promesses ou déclarations proférées auparavant, requière plus que les talents de limier de Sherlock Holmes.
A l’exception d’une détermination louable pour décontenancer Trump et son cercle proche (sauf quelques personnalités militaires, au moins pour le moment) , le journalisme US demeure à peu près ce qu’il a été jusqu’au 8 novembre 2016, à savoir des personnalités construites pour être tout simplement détruites, des coups-de-cœur et des nouveautés découvertes, célébrées puis moquées, des histoires « extraordinaires » de gens simples pendant 15 secondes de gloire pour être jetées aux oubliettes, tout cela servi comme accompagnement au quota de massacres, de souffrance et de dévastation… Tel qu’il se présente aux USA …. le journalisme reste voyeuriste et ne nécessitant que la concentration d’un enfant de 2 ans. ….
Plutôt que de clarifier l’air, ils (rédacteurs, chroniqueurs, etc..) l’embrument. L’obsession de la presse pour Trump – de chaque tweet ou propos ils en font une « nouvelle »- n’est qu’une excuse pour illustrer le trivial, alors que les vraies questions, celles qui demandent de l’attention, sont passées sous silence. Laissez-moi vous citer des exemples sur la sécurité nationale qui ne reçoivent qu’un intérêt limité ou sont carrément ignorés par ce 4ème pouvoir, prétendument là pour aider à définir l’agenda politique du pays.
- Accomplir « la mission ». Depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, les Etats-Unis se sont engagés à défendre leurs principaux alliés en Europe et en Asie du sud-ouest. Peu après, cet engagement couvrait aussi le Moyen Orient. Comment les Etats-Unis pensent-ils que ces nations pourront assurer la responsabilité de leurs affaires ? Ou encore, quand (si jamais) les forces US vont-elles rentrer chez elles ? S’il incombe aux Etats-Unis de faire la police sur de vastes espaces du globe en permanence, comment les changements importants de l’ordre international – l’émergence de la Chine ou les changements climatiques- vont-ils se faire sentir sur cette « mission ».
- Suprématie militaire. L’armée américaine est sans conteste la meilleure. Elle est, de plus et de loin, la mieux financée avec des législateurs offrant aux troupes toutes les opportunités pour pratiquer leur art. Aussi pourquoi cette grande armée n’arrive-t-elle pas à gagner ? Ou encore, pourquoi ces dernières décades ces forces ont-elles été incapables de réaliser les objectifs militaires déclarés de Washington ? Pourquoi les 15 années de guerre contre le terrorisme n’ont-elles pas apporté une seule vraie victoire dans le Grand Moyen-Orient ? Se peut-il que notre approche eût été mauvaise ? Devrions-nous agir autrement ?
- Les bases de l’empire américain. Les forces militaires US sont en garnison sur toute la planète, un fait sans précédent dans l’histoire. Les administrations successives, quel que soit le parti, justifient et perpétuent cette politique en insistant sur l’idée que ce cantonnement sur des terres lointaines, encourage la paix, la stabilité et la sécurité. A notre siècle, cependant, entériner cette pratique a visiblement l’effet inverse. Pour beaucoup de ceux qui doivent « héberger » ces bases US, leur présence permanente a un relent d’ « occupation ». Ils résistent. Pourquoi devrait-il en être autrement pour les politiciens américains ?
- Soutien des troupes. Dans l’Amérique d’aujourd’hui, exprimer du respect pour ceux qui servent ressemble à une obligation religieuse. Tout un chacun professe son amour pour les soldats US mais ces démonstrations, superficielles en réalité, camouflent un fossé grandissant entre ceux qui servent et ceux qui applaudissent en retrait. Notre système militaire actuel, basé sur un prétendu volontariat, n’est ni démocratique, ni efficient. Pourquoi alors n’y-a-t-il pas de discussion, de débat sur ces déficiences dans le cadre des priorités du pays ?
- Prérogatives du commandant-en-chef. Y-a-t-il des actions militaires que le président des Etats-Unis peut autoriser de par ses prérogatives ? Si oui, quelles sont-elles ? Petit à petit, décade après décade, le Congrès a abdiqué le rôle qui était le sien d’autoriser la guerre. Aujourd’hui, il ne fait qu’enregistre ce que le président décide (ou tout simplement dire « hum ») A qui cette déférence devant une présidence impériale profite-t-elle ? La politique américaine est-elle devenue plus prudente, plus éclairée et plus couronnée de succès ?
- Assassin-en-chef. Une politique d’assassinats, poursuivie secrètement sous les auspices de la CIA au cours de la guerre froide, n’a rencontré que de maigres succès. Quand ces secrets furent éventés, les gouvernements connurent des déconfitures considérables, de telle sorte que les présidents renoncèrent au meurtre politique. Après le 11 septembre, cependant, Washington revint à cette tradition sur une grande échelle, une grande aire, par le recours aux drones. Aujourd’hui, le seul secret qui demeure est celui des noms sur la liste présidentielle des cibles, connue sous l’euphémisme de la «matrice à disposition » (disposition matrix) de la Maison Blanche. Mais, l’assassinat fait-il progresser les intérêts des Américains (ou procède-t-il simplement à des remplacements pour les terroristes qu’il liquide?) Comment pouvons-nous en évaluer le coût, direct ou indirect ? Quels sont les dangers et les faiblesses que cette pratique implique?
- La guerre connue sous le vocable de « Guerre totale au terrorisme » : Quelle est exactement la stratégie actuelle de Washington pour mettre à bas le djihadisme violent ? Quelles actions ont-elles été planifiées et avec quelle chance de succès ? Si aucune stratégie de ce type n’existe, quelles en sont les raisons ?
- La campagne connue auparavant sous le nom de Opération Liberté Immuable : le conflit qu’est la Guerre en Afghanistan est maintenant le conflit le plus long de l’histoire des Etats-Unis, durant plus longtemps que la Guerre de Sécession, la 1ère guerre mondiale, la 2ème combinées. Quel est le plan du Pentagone pour le conclure ? Quand les Américains peuvent-ils espérer qu’il se terminera ? Sur quels termes?
- Le Golfe. Les Américains ont à un moment cru que leur prospérité et leur mode de vie dépendaient de l’accès libre à l’or noir du Golfe persique ce qui n’est plus le cas à l’heure actuelle. Les Etats-Unis sont redevenus un exportateur de pétrole. Des ressources disponibles et accessibles de gaz et pétrole en Amérique du nord sont bien plus grandes que ce que nous n’avions jamais cru. Et, cependant, l’idée que le Golfe Persique s’avère toujours capital pour la sécurité intérieure américaine persiste à Washington ? Pourquoi ?
- Battage autour du terrorisme. Tous les ans, les terroristes tuent moins d’Américains que les accidents, la drogue ou même les éclairs. Et, cependant, les allocations du gouvernement pour prévenir les attaques terroristes ont la priorité sur les trois combinées ? Pourquoi ?
- Les morts importants et les morts sans importance. Pourquoi les attaques terroristes qui touchent une poignée d’Européens drainent plus l’attention que celles qui tuent un plus grand nombre d’Arabes. Une attaque terroriste qui tue des individus en France ou en Belgique arrache des vagues de sympathie et de solidarité de la part des Américains. Une attaque terroriste qui tue des Egyptiens ou des Iraquiens ne provoque que des haussements d’épaule. Pourquoi cette différence ? Dans quelle mesure la race offre-t-elle une réponse à cette question ?
- Les armes nucléaires d’Israël. A quoi sert-il de prétendre qu’Israël ne possède pas d’armes nucléaires ?
- La Paix en Terre sainte. Que cherche-t-on quand on s’arc-boute sur l’illusion qu’une « solution à deux Etats » offre une solution plausible au conflit israélo-palestinien ? De la même manière que les colons blancs se sont emparés de territoires auparavant habités par des tribus autochtones américaines, les colons israéliens étendent leur présence dans les territoires occupés d’année en année. Ce faisant, la possibilité d’édifier un Etat palestinien viable devient de plus en plus improbable. Prétendre le contraire s’apparente à l’idée qu’un jour Trump préférera la rusticité de Camp David au clinquant de Mar-a-Lago.
- Vendre la mort. Parlant de vente d’armes, il n’est pas nécessaire de faire l’Amérique plus Grande Encore. Les Etats-Unis sont, de loin, le numéro 1 avec leurs alliés de longue date et principaux acheteurs que sont l’Arabie saoudite ou Israël. Chaque année, l’Arabie saoudite (avec un produit intérieur brut de 20 000 dollars par tête) achète des centaines de millions de dollars d’armes américaines. Israël (p.i.b de 38 000 dollars par tête) obtient plusieurs milliards de dollars de ces armes par an grâce à la générosité du contribuable US. Si les Saoudiens peuvent payer pour leurs armes, pourquoi les Israéliens ne le pourraient-ils pas ?
- Nos amis les Saoudiens (1). 15 des 19 des auteurs du 11 Septembre 2001 étaient des Saoudiens ? Qu’est-ce que cela signifie?
- Nos amis les Saoudiens (2). S’il est vrai que l’Arabie saoudite et l’Iran se disputent pour savoir qui aura la main haute sur le Golfe persique, pourquoi les Etats-Unis favorisent-il l’Arabie Saoudite ? De quelle manière les valeurs des Saoudiens sont-elles plus en phase avec les valeurs américaines que celles des Iraniens ?
- Nos amis les Pakistanais. Le Pakistan se conduit comme un Etat voyou. C’est un proliférateur nucléaire. Il soutient les Talibans et pendant des années, a été un sanctuaire pour Osama Ben Laden. Malgré cela, les dirigeants US le traitent comme un allié. Pourquoi ? De quelle manière les intérêts des Américains et ceux des Pakistanais coïncident-ils ? S’il n’y en a pas, pourquoi ne pas le dire ?
- Les Européens dépendants. Pourquoi l’Europe « entière et libre » sa population et son économie considérablement plus grandes que celles de la Russie ne pourrait-elle pas se défendre elle-même ? Il est louable que les dirigeants américains apportent leur soutien à l’indépendance de la Pologne et encouragent les républiques baltes. Mais est-ce que cela a un sens, que les Etats-Unis se préoccupent plus du bien-être des peuples vivant en Europe de l’Est que de ceux vivant en Europe de l’Ouest ?
- La mère de « toutes les relations spéciales ». Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont « une relation spéciale » remontant à Franklin Roosevelt et Winston Churchill. Quelle est la raison d’être de cette relation ? Pourquoi les relations entre ces deux pays, dont un, la Grande-Bretagne, en déclin, seraient-elles plus « spéciales » que ses relations avec un pays émergeant comme l’Inde ? Pourquoi les liens entre les Américains et les Britanniques seraient-ils plus intimes que ceux unissant les Américains et les Mexicains ? Pourquoi une république fêtant bientôt son 241ème anniversaire a-t-elle encore besoin d’une « mère-patrie ».
- Les billevesées sur l’ancien désarmement nucléaire. Les présidents américains épisodiquement parlent de leur espoir de voir l’élimination des armes nucléaires. Mais ils maintiennent une force de frappe en alerte maximale, se sont embarqués dans une modernisation coûteuse, en millions de milliards de dollars, et globale de leur arsenal nucléaire et adoptent même, en cas de guerre nucléaire, le recours le premier à ces armes. La vérité est que les Etats-Unis n’envisagent de renoncer à leurs armes que lorsque toutes les autres nations du globe l’auront fait. Comment l’hypocrisie américaine affecte-t-elle la perspective d’un désarmement nucléaire global ou simplement la non-prolifération de telles armes ?
- Doubles standards (1). Les dirigeants américains considèrent comme acquis que la sphère d’influence de leur pays est totale, ce qui, à son tour, fournit la raison d’être pour le déploiement de leurs forces dans des douzaines de pays. Mais pour des pays comme la Russie, la Chine, ou l’Iran ; Washington est d’avis que la sphère d’influence est obsolète et que c’est un principe qui ne doit plus s’appliquer en tant que pratique d’Etat. Aussi les forces chinoises, russes, iraniennes doivent rester là où elles sont, dans leur pays. S’égarer au-delà est une provocation, autant qu’une menace pour la paix et l’ordre dans le monde. Pourquoi ces pays devraient-ils appliquer les règles du jeu américain ? Pourquoi les mêmes règles ne s’appliquent-elles pas aux USA ?
- Doubles standards (2). Les Etats-Unis prétendent qu’ils respectent et soutiennent le droit international, mais quand ce droit s’immisce dans ce que veulent faire ses politiciens, ils l’ignorent. Ils commencent des guerres, violent la souveraineté des autres pays, autorisent leurs agents à enlever, emprisonner, torturer, et tuer. Ils le font en toute impunité, obligés parfois d’inverser leurs actions en de rares occasions où les tribunaux américains en ont révélé l’illégalité Pourquoi les autres puissances devraient-elles considérer les normes comme sacro-saintes alors que les Etats-Unis ne le font qu’à leur convenance ?
- Doubles standards (3). Les Etats-Unis condamnent les massacres indiscriminés de civils en temps de guerre. Mais, au cours des derniers 75 ans, ils ont régulièrement tué des civils sur une grande échelle. Par quelle logique, depuis 1940, le massacre des Allemands, des Japonais, Coréens, Vietnamiens, Laotiens, Cambodgiens, Afghans et autres par la puissance de feu aérienne serait-il moins répréhensible que l’utilisation des «barils de bombes» aujourd’hui ? Sur quelle base les Américains doivent-ils accepter les communiqués du Pentagone que si les forces US tuent des civils, ce sont invariablement des bavures (1), tandis que les Syriens tuent des civils intentionnellement et par sauvagerie ? ….Pourquoi aussi les Etats-Unis dissimulent-ils régulièrement les non-combattants que les Saoudiens avec leur assistance tuent habituellement au Yémen ?
- Obligations morales. Quand mis devant la violation flagrante de droits de l’homme, les intellos s’époumonent pour que les Etats-Unis « fassent quelque chose ». Les analogies avec l’Holocauste poussent comme des pissenlits, les chroniqueurs recyclent des articles de quand les Cambodgiens massacraient les leurs en masse ou quand les Hutus et les Tutsis s’y mirent aussi. Les partisans de l’action – favorisant l’action militaire- professent que les Etats-Unis ont une obligation morale d’aider les victimes de l’injustice, de la cruauté partout dans le monde. Mais qu’est-ce qui détermine la hiérarchie de ces obligations morales. Qu’est ce qui est prioritaire, la responsabilité de réparer les crimes des autres ou celle de réparer les crimes commis par les Américains ? Qui peut prétendre le plus à l’assistance américaine, les Syriens souffrant sous le joug de Bashar al Assad ou les Irakiens dont le pays a été détruit par l’invasion US de 2003 ? Où les Vietnamiens doivent-ils prendre place dans la queue ? Et les Philippins auxquels on a brutalement dénié l’indépendance et qui furent incorporés de force dans un empire américain à la fin du XIXème siècle ? Ou les Afro-Américains dont les ancêtres étaient des esclaves ? Ou, encore les Autochtones américains, dépossédés et déshérités ? Existe-t-il des limites statutaires qui s’appliquent aux obligations morales ? Si non, ceux qui ont attendu si longtemps justice ou compensation ne doivent-ils pas recevoir une attention prioritaire ?
- (1)Note AFI-Flash : Dernière « bavure » en date : le massacre de 105 civils et d’on ne sait combien de blessés le 17 mai dernier dans un bombardement de la ville de Mossoul.
- Pour le général James Mattis, secrétaire d’Etat à la Défense, ces victimes "sont un fait de la vie dans ce genre de situation." (sur CBS)
Traduction et Synthèse : Xavière Jardez
*Source : Tomdispatch.com