Par Mary Dobbing et Chris Cole* (janvier 2014 - Traduction et Synthèse: Xavière Jardez)
« Le bourdonnement des drones en survol est là pour vous rappeler sans répit la vigilance impassible d’Israël et son pouvoir illimité, de frapper à tout moment ». (Scott Wilson - Washington Post - 3 déc. 2011)
Les conséquences sur le terrain
Il est certain que l’utilisation des drones par Israël a un impact dévastateur sur le terrain à Gaza. Les deux offensives majeures, en 2008-2009, avec l’Opération Plomb durci et en 2012, avec l’Opération Barrière Protectrice attestent du coût humain de cette nouvelle arme.
Deux incidents l’illustrent : celui de la Mosquée al Maqadmah, déjà mentionné, où 200 à 300 personnes se trouvant à l’intérieur pour la prière du soir, le 3 janvier 2009, furent l’objet d’une attaque de drone armé. 15 Palestiniens furent tués et 40 blessés parmi les fidèles. Une enquête de l’ONU confirma la nature des munitions utilisées. Après avoir nié, prétextant qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait d’un édifice religieux, Israël par l’intermédiaire de son avocat général militaire israélien, Mandelbit, admit, dans une dépêche aux Américains révélée par WikiLeaks, la réalité de cette attaque.
La vaste offensive sur Gaza lors de l’Opération Barrière de Défense, pendant huit jours, en novembre 2012, marqua le point culminant, à ce jour, de la guerre de haute technologie d’Israël : 1 500 cibles furent attaquées par les FAI et Peter Layton pour Defence Today, écrit que l’aviation israélienne fut soutenue par des drones Hermes 450 et 900 armés de missiles
Spike. « L’Opération Barrière Protectrice commença par une attaque de précision sur un véhicule, au centre de Gaza par un drone Hermes 450 armé… qui tira un missile anti-char Spike. Ahmed Jabari, le chef de l’aile armée du Hamas, considéré comme l’auteur principal du développement rapide des forces de roquettes du Hamas fut tué. Les drones Hermes 450 ont continué leurs attaques d’avant-garde et répondu rapidement au lancement de roquettes grâce à leurs équipes de missiles mobiles ».
Dans son rapport sur l’offensive, Human Rights Watch estima que, même sans avoir pu enquêter sur toutes les attaques aériennes, il avait compté 18 attaques spécifiques en violation des lois de la guerre, 7 d’entre elles des attaques de drones. Pour le reste, le type de munitions n’est pas résolu et la plupart des victimes était des civils :
« … le 19 novembre, trois hommes furent tués dans un camion transportant des tomates à Deir al Balah… un homme de 79 ans et sa petite-fille de 14 ans le furent aussi dans leur oliveraie à Abasan , un fermier et son fils… marchant sur une route près d’oliviers à Khan Younis et une femme de 28 ans… dans la cour de sa maison. Un missile Hellfire toucha un hôpital à Gaza, le 19 novembre, coupant l’électricité et l’eau. Les hôpitaux sont des lieux protégés par les lois de la guerre à moins qu’ils ne soient transformés à des fins militaires et sont ciblés après avertissement».
Israël prétend que ses frappes de drones sont légitimes parce que précises et que les opérateurs tirant les missiles ont une vision parfaite des cibles au moment du tir. Cependant, Defence for the Children International maintient que 353 enfants furent tués, 116 d’entre eux par des tirs de drones, et 850 blessés.
Human Right Watch n’a trouvé, au cours de son enquête, aucune preuve de la présence de combattants palestiniens, d’armes ou d’autres objectifs militaires au moment de ces attaques et souligne que « des individus qui délibérément ordonnent ou prennent part à des attaques dont les cibles sont des civils ou des objets civils sont responsables de crimes de guerre ». (HRW, Israël’s Gaza airstrikes violated laws of war, 12 février 2013).
Le secret qui entoure le recours par Israël aux drones armés empêche de connaître avec certitude le nombre de victimes mais le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme fait état de 825 morts, dont 79% étaient des enfants, par des drones à Gaza entre la capture de Gilad Chalit en juin 2006 et sa libération en octobre 2011, tous en majorité des civils ciblés par erreur ou pris dans le feu du shrapnel d’une attaque de drone.
Mais ce ne sont pas seulement les drones armés qui ont un impact sur la vie de la population civile. Les drones de surveillance, survolant à plus basse altitude, causent la terreur et la panique car il est impossible de faire la différence entre un drone en mission de surveillance et un, armé prêt à enclencher une attaque. Les Palestiniens vivant à Gaza évoquent sans cesse la peur des drones qui, jour et nuit, émettent un sifflement sourd qu’ils appellent « zenana ».
Scott Wilson du Washington Post écrit : « Nabil al- Amassi regardait, en l’été 2006, les tanks israéliens déferlaient sur la bande de Beit Lahiya (Gaza) dans une opération destinée à faire pression sur le Hamas pour libérer Gilad Chalit…Une demi-douzaine d’hommes se tenait au bout de la rue sableuse quand, tout à coup, le drone sifflant au-dessus tira. Trois hommes tombèrent, morts dont un homme eut les bras arrachés que les survivants hurlant enlevèrent de la scène… »
Les conséquences sur les enfants qui font l’expérience de la guerre et des attaques de drones sont affolantes. Le principal de la Qasteen School fait venir, plusieurs fois par semaine, des psychiatres pour calmer les enfants et leur expliquer que le sifflement des drones ne signifie pas que la guerre est imminente, continue Scott Wilson. « Le bruit des drones entretient chez les résidents de Gaza un sentiment d’impuissance. Au fond d’eux, psychiatres ou étudiants (du Centre pour le Programme de la Santé mentale) il y a la peur, le sentiment que quelque chose de terrible va se produire ». « Les drones font partie de l’histoire, partie du conditionnement.
Chaque fois que nous les entendons, nous nous replaçons dans ces instants de violence et de mort » « C’est une forme de torture mentale qui épuise les ressources psychologiques et émotionnelles des gens. Pour les enfants, il s’agit d’une absence de concentration et d’un comportement indiscipliné » pour Ahmed Tawahina, psychologue audit Centre.
Les 42 attaques de drones au cours de l’offensive « Plomb durci » firent 87 victimes civiles. La tactique utilisée fut la suivante : un premier missile est tiré par un drone, suivi quelques minutes plus tard par un second ou un troisième qui atteint les personnes venues secourir les blessés. Cette tactique de la double frappe fut utilisée par les Américains au Pakistan et au Yémen.
(Bowcott Owen, The Guardian, 24 janvier 2013, UN to examine UK and US drone strikes ».
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Israël et la guerre des drones (4ème partie)
Par Mary Dobbing et Chris Cole* (janvier 2014 - Traduction et Synthèse: Xavière Jardez)
« Avec un record inégalé de plus de 1 100 000 heures de vols pour 49 utilisateurs, IAI- MALAT est devenu le principal fournisseur de solutions globales impliquant les VAT (drones) - offrant ainsi la plus grande variété de systèmes de combat ayant fait ses preuves », selon Israël Aerospace Industries
Israël : Les exportations militaires de drones
Entre 2001 et 2011, 41% des drones dans le monde viennent d’Israël selon le SIPRI (Institut International suédois pour la Recherche de la Paix) et ceux-ci composent pour près de 10% le volume des exportations militaires d’Israël. Israël a exporté la technologie des drones à 56 pays parmi les 70 qui, on assume, possèdent cette arme. Les exportations directes sont complétées par la création de filiales des sociétés d’armement israéliennes dans des pays précis en vue d’y produire des drones et la formalisation d’accords pour la location de drones, en Australie, Canada, Allemagne, Pays-Bas et Grande-Bretagne pour l’Afghanistan.
Les fabricants de drones ont établi des accords de joint-venture avec leurs homologues en Argentine, Azerbaïdjan, France, Italie, Russie, Afrique du sud, Turquie et la Grande-Bretagne. Le transfert de technologie des drones se fait aussi par des fournisseurs de troisième rang : la Finlande, par exemple, commande des drones au travers d’une société helvétique.
Le marché africain devient, pour Israël, un point d’ancrage important : Arie Egozi, journaliste et expert en drones, (Flightglobal, 9 octobre 2012) cite comme destinataires l’Angola, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, l’Ethiopie et la Tanzanie.
Le Programme Watchkeeper de la Grande Bretagne
En juillet 2005, le gouvernement britannique signa un contrat de 800 millions de livres sterling avec Israël pour le développement d’un nouveau drone sans pilote. Watchkeeper devant équiper le régiment d’artillerie britannique pour des missions de surveillance, reconnaissance et ciblage. Même si Watchkeeper est encore non militaire, Thales en a présenté une version porteuse de missiles à divers salons et le Jerusalem Post a rapporté que Thales avait suspendu au plafond du Salon de l’armement, à Londres en 2011, un Watchkeeper armé de deux missiles sur ses ailes.
Watchkeeper est conçu sur le Hermes 450 israélien et construit pas U- TACS Limited, une joint-venture dont les propriétaires sont une entreprise privée israélienne, Elbit systems, détentrice de 51% des actions et Thales UK. Les moteurs sont fabriqués par UAV Engines of Shentone, à Birmingham, une filiale entièrement détenue par Elbit Systems. The Guardian du 6 mai 2013 rapportait que 27 appareils avaient été livrés par Thales UK, cette année-là. En octobre, le Foreign Office découvrit que les essais du Watchkeeper devaient avoir lieu dans le Golan, territoire occupé par Israël depuis 1967. Après objections, ils furent réalisés en Israël même. Les dix premiers drones furent produits en Israël, puis la production fut transférée à Leicester.
En juin 2007, les forces britanniques utilisèrent, en Afghanistan et en Irak, des drones Hermes 450 militaires en location « payée à l’heure » auprès d’Israël dans l’attente de l’entrée en service du Watchkeeper…. et en octobre 2013, on comptait 1460 vols par an sur ce pays et onze d’entre-eux s’étaient écrasés.
Watchkeeper ne fut jamais mis en service en Afghanistan, objectif de sa production d’un coût final de 831 millions de livres, en raison de l’absence d’autorisation par les autorités militaires aériennes de Grande Bretagne d’utiliser ces engins dans un espace civil et militaire.
Transactions « douteuses »
Il existe un certain nombre de cas où les transactions d’Israël devraient éveiller l’attention de la communauté internationale et, notamment, ceux dans lesquels ce pays vend ses drones aux deux protagonistes d’un conflit, à un pays où les droits de l’homme sont plus ou moins ignorés ou là, il y a une course à l’armement.
Israël, dans le premier cas, a vendu des drones tant à la Russie qu’à la Géorgie dans leur conflit sur l’Ossétie du sud et en Abkhazie qui, en dix jours, en août 2008, devint « sanglant ». Des mois auparavant, la Géorgie avait fait voler des drones Hermés 450 sur la région et on avait rapporté que trois et sept drones avaient été abattus au-dessus de l’Abkhazie… En septembre, la Géorgie annonça avoir tiré sur un drone russe au-dessus de la province séparatiste d’Ossétie. Selon les analystes militaires, la Russie avait été surprise de l’armement sophistiqué de l’escadrille de drones militaires géorgiens, mais la situation se modifia quand Israël changea d’interlocuteur et vendit à la Russie 12 drones pour la somme de 53 millions de dollars.
Dans le deuxième cas, les drones israéliens ont été utilisés pour commettre des violations des droits de l’homme. Tel fut le cas du Sri Lanka, à partir de 1996, dans sa lutte contre les rebelles des Tigres Tamouls. Les drones utilisés et composant l’escadron des Véhicules Aériens Télécommandés (VAT ou UAV) furent des Super-Scout et Searcher MK II. En 2008, le Sri
Lanka décida de mettre un terme à la trêve conclue avec les rebelles et s’engagea dans une opération appelée « Opération Humanitaire ». Selon Gordon Weiss, porte-parole de l’ONU à Colombo, « 40 000 civils furent tués » et l’International Crisis Group dans son enquête rapporta que des drones de surveillance avaient tiré sur des cibles civiles dans une « Zone neutre » à Vanni et sur un hôpital, le 2 mai 2009. Les forces aériennes sri-lankaises, sur leur site internet, précisaient que les drones Searcher MK II furent « les éléments clés du succès opérationnel contre les Tigres avec un nombre de vols de 1665, 49 heures au cours de 255 missions ».
Enfin, Israël a contribué à la course à l’armement entre l’Inde et le Pakistan. L’Inde est le principal acheteur de drones israéliens depuis 1999 et son conflit avec le Pakistan au Kargil. Mark Sofer, ancien ambassadeur israélien à Delhi, indiquait au magazine indien Outlook que « nous avons des relations prospères et nos relations en matière de défense ont pris de l’élan depuis Kargil… ». Arielle Kandel de l’Institut politique du Peuple Juif, de Jérusalem est plus spécifique, dans le India Times : « au cours de la guerre de Kargil, Israël a… promptement fourni l’Inde en UAV de haute altitude pour la surveillance, des systèmes téléguidés au laser, etc…un jour après que l’Inde lui eut demandé son assistance ».
Le Pakistan, leurré par la capacité de la surveillance dronique de l’Inde, est aussi soumis aux frappes de drones par les Etats-Unis sur les zones tribales. Sa réponse fut de développer sa propre industrie en ce domaine et certains spécimens sont entrés en service en 2009. Les rumeurs circulent qu’il se fournit en drones chinois, dont le dernier modèle peut être armé de quatre bombes de précision. … Le Pakistan cherche aussi à se procurer des drones US comme le RQ-7 Shadow.
Conclusion
Drone Wars UK a voulu par ce bref essai briser le silence qui entoure le développement des drones en Israël et leur prolifération car si beaucoup a été écrit sur l’utilisation des drones par les Etats-Unis au Pakistan et ailleurs, par la Grande-Bretagne en Afghanistan, peu avait transpiré sur la guerre des drones lancée par Israël.
Ce dernier a utilisé des drones pour la surveillance et la collecte de renseignements au cours de 40 dernières années, mais dès 2004, des enquêtes crédibles ont décrit l’utilisation de ces engins armés dans le conflit toujours présent des territoires occupés palestiniens et ailleurs et la dernière Opération Barrière protectrice de 2012, laisse envisager que, de moins en moins, « il n’y aura de bottes sur le terrain », ce qui ne présage rien de bon.
La prolifération des drones israéliens font d’Israël le 6ème marchand d’armes mondial (Haaretz - 25.1.2013) d’un montant de 2.4 milliards de dollars en 2012.
Le prix de cette industrie florissante en est payé par les Palestiniens, obligés de vivre sous le bruit incessant de ces engins, par le grand nombre de victimes qu’ils font et par les futures guerres à travers le monde comme s’en félicite Tzvi Kalron, de l’IAI «… si vous supprimez le facteur humain dans une bataille et y envoyé des outils qui savent mieux la faire, c’est plus facile. ».
Source: Israel and the drone wars - Examining Israel’s production, use and proliferation of UAVs
Pour info: Site de Drone Wars UK
Sur France-Irak Actualité : Israël et la guerre des drones (1èreet 2ème partie)