Par Roland Laffitte (revue de presse: Notes au fil du temps – 15/12/16)*
Il y a peu, le Rapport de l’Institut Montaigne proposait sans rire d’« élire un grand imam de France afin de conduire le travail intellectuel et théologique destiné à poser les jalons d’un islam français »[1]. Un rêve éveillé que reprend François Fillon lorsque, se plaignant que le CFCM « ne représente pas les Musulmans », il avance : « Il faut que ce soit des religieux, qui soient de théologiens, qui soient des personnalités respectées de la religion musulmane pour que à travers eux on puisse engager ce dialogue et convaincre la communauté musulmane que les règles républicaines sont supérieures aux règles religieuses et qu’elles doivent s’appliquer »[2].
Mais dites : comment imposer une attitude téologico-juridique commune à l’Islam qui se répartit lui-même en une infinité de confessions et de sous-confessions : sunnites, chiites dans ses multiples tendances (chiisme duodécimain, ismaélisme, zaydisme, etc.), kharijisme (principalement aujourd’hui ibadite), etc. Comment prétendre chapeauter, dans le sunnisme lui-même, d’un côté des courants juridiques comme le chaféite, le hanafite, le hanbalite et le makékite (majoritaire en France), qui ont chacun leur propre conception du droit et leur propre pratique du culte, et de l’autre les divers courants théologiques classiques comme l’acharisme, le matudirisme et le hanbalisme, sans oublier les courants les plus modernes, depuis le réformisme modernisateur jusqu'à l’infinité de courants revivalistes et littéralistes parmi lesquels le salafisme wahhabite revendique le monopole théologico-juridique d’interprétation de l’Islam, et sans tenir compte de l’infinité des attitudes des uns et des autres vis-à-vis du politique et d’une la lutte parfois à couteaux tirés entre eux ? Comment prétendre encore rassembler sous une même houlette les différentes confréries ou ordres spirituels de l’Islam comme les Aissawa, la Chadhiliyya, la Muridiyya, la Naqbandiyya, la Qadiriyya, la Sanusiya, la Tijaniyya, etc. (pour ne parler que ce celles qui sont actives dans notre pays), et plus encore ces voies spirituelles et les courants qui anathémisent le soufisme, comme c’est le cas du salafisme des cheikhs saoudiens ? Jamais l’Islam n’a connu une telle autorité commune, même au temps des premiers califes, malgré les fantasmes d’orientalistes à courte vue, n’ont jamais assumé un rôle semblable à celui du pape dans la Chrétienté.
Restons dans le parallèle entre Islam et Christiniasme. Vouloir un Grand Imam de France ou une sorte d’autorité théologico-juridique unique pour l’Islam de France, c’est une peu comme si on voulait imposer un autorité théologico-cultuelle commune à tous les Chrétiens de notre pays, quelles que soient leur obédience, catholique romaine, othodoxe ou protestante, sans parler des Chrétiens d’Orient, coptes et melkites, chaldéens ou assyriens, etc. Imaginez seulement les différentes églises protestantes, luthérienne, réformée (calviniste), évangéliques (baptistes, adventistes, méthodistes, pentecôtistes, etc.) suivre les directives d’une même autorité théologique ! Mais qui ne serait pas possible eux le serait pour les Musulmans, et qui plus est, sous la baguette de l’État ?
Nous sommes en plein délire. C’est mieux que Sarkozy qui, tout en condamant le communautarisme, voulait créer une sorte de CRIF islamique. C’est la vieille erreur française qui consiste à projeter sur l’Islam le fonctionnement de l’Église catholique : une religion, un chef ! Et pourquoi la République ne décrèterait pas en sus l’infaillibilité des fatwas du Grand Imam de France ? Ce serait plus sûr pour le ministre des Cultes et de l’Intérieur réunis d’avoir un Islam à sa botte. Il y a toutefois peu de chance que nos concitoyens musulmans goûtent la plaisanterie et donnent à cette prétendue haute autorité le moindre crédit.
[1] Institut Montaigne, Un islam de France est possible, septembre 2016, 103.
[2] Propos tenus sur « Bourdin direct » sur BFM TV le 30/09/2016.
*Source: Notes au fil du temps