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France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l'Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l'Atlantique. Traduction d'articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.


Iyad Allaoui, du Baas à la CIA

par Gilles Munier (AFI-Flash - 21/7/04)

Au Vietnam, les Américains ont eu Nguyen Cao Ky, Nguyen Van Thieu, Duong Van Minh ( dit «  le gros Minh » ) qu’il ne fallait pas confondre avec Tran Van Minh ( dit le petit Minh )... En Irak, après la ronde des «  Premiers ministres  » du «  Gouvernement transitoire  », voici venue celle du «  Gouvernement intérimaire  » et le temps - forcement compté - de la marionnette Iyad Allaoui.

L’homme a le profil de l’emploi : celui d’un gangster américain. La presse d’outre atlantique lui trouve une ressemblance frappante avec Tony Soprano, "Capo" de la Mafia régnant sur le district du New Jersey, héros d’une série télévisée à succès jouée par James Gandolfini, un acteur de série B. Un ancien de la CIA au Proche-Orient - Reuel Marc Gerecht - dresse de lui un portrait approchant dans le New Yorker : « Deux faits marquants, au sujet d’Allaoui », dit-il, « Premièrement : il aime à se considérer comme un idéologue et, deuxièmement : sa principale qualité, c’est d’être un malfrat ! ».

Sponsor saoudien

Quand on l’accuse d’être « un soldat américain » comme l’a fait le Cheikh Ayad Awad, Imam de la mosquée sunnite Al Nour à Bagdad, il esquive : « Comme dirigeant d’une organisation politique », dit-il, « j’étais en contact avec une quinzaine de services secrets à travers le monde...  ». Certes ! Mais sous le contrôle très strict des agences américaine et britannique de renseignement - CIA et MI6 - à qui il devait rendre compte de tous ces faits et gestes. Elles n’auraient pas toléré - et ne tolèreraient toujours pas - d’écart de sa part.

Officiellement, Iyad Allaoui a créé l’Iraqi National Accord (INA, ou Al Wifaq) en décembre 1990 avec Omar Ali al-Tikriti, ancien ambassadeur d’Irak à l’ONU (1970-1082). Mais en fait, l’idée de constituer un mouvement d’opposition réservé aux défecteurs baasistes, civils militaires ou aux membres des services de sécurité irakiens, revient au Prince saoudien Turki Ibn Fayçal. L’intendance étant assurée à Ryad, le groupe s’est étoffé de parents et d’amis comme Nouri al-Badran, beau-frère d’Allaoui et «  ministre  » de l’intérieur jusqu’en avril 2004 jusqu’à ce que Paul Bremer le « vire » sous prétexte de préserver l’équilibre entre chiites et sunnites au sein du « gouvernement provisoire » ; Ibrahim Janabi (ancien officier des moukhabarat à Londres), Adnan Nuri, un général de la Garde républicaine, et le Docteur Tahsin Mu’ala connu pour avoir soigné Saddam Hussein touché à la jambe lors de l’attentat manqué contre le général Kassem. Du beau monde, mais pas de quoi impressionner les Américains... ni Saddam Hussein.

Ce n’est pas non plus les appels à la révolte lancés par la station de radio « Voice of Free Iraq » créée dans la foulée - également avec de l’argent saoudien - qui risquaient de troubler l’ordre public à Bagdad. Les Irakiens ne prirent jamais ses émissions au sérieux. Ceux qui recherchaient une autre version des événements, préféraient écouter la BBC ou radio Monte Carlo en arabe.

Terrorisme aveugle

A partir de 1992, la CIA se mit à recruter sans discernement de nouveaux agents dans l’opposition irakienne. Elle posa comme condition de son aide à l’INA, l’exclusion de Salih Omar Ali al-Tikriti de la direction de l’organisation. Elle l’accusait d’avoir participé à des pendaisons publiques, mais il semble qu’elle lui reprochait surtout d’avoir garder le contact ténu avec Saddam Hussein. Iyad Allaoui accepta aussitôt. Il supportait de moins en moins son associé qui lui demandait des comptes sur la répartition des fonds saoudiens.

C’est l’époque où de nombreux opposants irakiens prenaient la CIA pour une « vache à lait » et créaient leur parti politique ! La plupart ne représentait qu’eux-mêmes et n’avait aucune représentativité en Irak. L’INA fut donc mise à l’épreuve du terrain. Pour prouver sa crédibilité et supplanter ses concurrents, Allaoui accepta de commettre des attentats à Bagdad. En 1994, Abou Amneh al-Khadami, un de ses militants installé au Kurdistan, réussit à introduire des explosifs dans la capitale irakienne. Plusieurs attentats aveugles secouèrent la ville. Une bombe ravagea un cinéma faisant plusieurs victimes parmi les spectateurs, d’autres visèrent des sièges de journaux. Un bus scolaire explosa sur le chemin de l’école : plusieurs enfants furent tués ou mutilés. On soupçonne également le poseur de bombes de l’INA d’avoir fait sauter le siège de l’Iraqi National Congres (INC) à Salaheddine, dans la partie du Kurdistan contrôlée à l’époque par Jalal Talabani.

Opération DBACHILLES

En 1995, la CIA avait deux fers au feu pour renverser Saddam Hussein. Alors que la guerre entre factions kurdes faisait rage au Kurdistan, elle soutenait sans trop y croire un complot fomenté par un général irakien soutenu par Ahmed Chalabi, président de l’Iraqi National Congres (CNI), et Jalal Talabani, chef de l’UPK. Ces opposants, inspirés par le succès de l’armée du nord afghane, s’apprêtaient à marcher sur Tikrit et Bagdad. Robert Baer, qui suivait pour l’Agence la mise en œuvre du projet, en a raconté l’épilogue pitoyable dans son livre « La chute de la CIA ». Dans la nuit du 4 au 5 mars, Massoud Barzani empêcha le général de passer la frontière kurde. Se sentant menacé par Talabani, il avait appelé Saddam Hussein à l’aide. L’armée irakienne prit Erbil tenue par son rival, et lui remit la ville. Les responsables du CNI qui se trouvaient dans la région furent décimés. En Irak, les conjurés furent arrêtés et fusillés.

Le manque d’enthousiasme de la CIA pour le scénario conçu par Ahmed Chalabi ne s’explique pas seulement par la méfiance que manifeste l’Agence à l’encontre du chef de l’INC. En fait, à la même époque la CIA était engagée dans une opération quasi identique baptisée DBACHILLES. Il s’agissait d’un coup d’Etat de type traditionnel monté par un général turcoman, retraité des Forces spéciales irakiennes, du nom de Mohammed Abdullah Shawani. Selon ce dernier, des officiers étaient prêts à renverser Saddam Hussein pourvu qu’on les soutienne. Iyad Allaoui participait au complot avec les réseaux dont il disait disposer dans l’armée irakienne.

Ahmed Chalabi tenta de faire annuler l’opération, assurant que les dés étaient pipés. Saddam, disait-il, était au courant de ce qui se tramait contre lui, car l’INA était infiltré par la sécurité irakienne. On peut se demander ce qui motivait  le plus Chalabi: empêcher une nouvelle déroute de l'opposition ou rogner les ailes de son ennemi - et également parent - Allaoui ! Il alla voir George Tenet, alors n°2 de la CIA, pour l’informer du danger, sans résultat. Il avertit son ami Robert Perle, le faucon néo-conservateur, mais il était trop tard : DBACHILLES était lancée.

En juin 1996, les craintes de Chalabi s’avérèrent justifiées : la sécurité irakienne arrêta les comploteurs qui furent exécutés ou emprisonnés. La CIA a dépensé - à pure perte - 100 millions de $ pour le financement des deux complots et y a perdu beaucoup de son prestige.

Mensonges en service commandé

On reproche à juste titre à Ahmed Chalabi d’avoir aidé George W. Bush et Tony Blair à déclencher la seconde guerre du Golfe en montant en épingle les témoignages d’opposants jurant que l’Irak possédait des armes de destruction massive, ou était sur le point de fabriquer une bombe atomique. Iyad Allaoui en a fait autant, mais on en parle moins. Il faut tout de même remarquer qu’au moment où George W. Bush rend la CIA et ses agents responsables de ses mensonges éhontés, il porte au pouvoir à Bagdad un de ceux qui en est à l’origine !

Allaoui n’est pas seulement l’inventeur des « 45 minutes » nécessaires à Saddam Hussein pour tirer des missiles sur Israël et Chypre où sont stationnées des troupes britanniques, il est aussi impliqué dans l’accusation portée contre le Président irakien d’entretenir des relations avec Al-Qaïda. C’est lui qui a assuré que Mohamed Atta - chef présumé du commando contre le World Trade Center- aurait été entraîné par Abou Nidal à Bagdad durant l’été 2001 quelques semaines avant l’attentat du 11 septembre. C’est encore lui qui a affirmé que les Irakiens avaient tenté d’acheter de l’uranium au Niger. Rien ne tenait debout, mais ceux qui mettaient en doute la parole des opposants irakiens n’étaient pas écoutés, étaient insultés ou menacés de mort. Le New York Times a beau jeu aujourd’hui de s’excuser devant ses lecteurs, il n’est pas dit qu’il ne recommencera pas si les Etats-Unis ou Israël attaquent demain la Syrie ou l’Iran.

« Premier ministre », tueur en chef

Les journalistes occidentaux, toujours prêts à dénoncer la brutalité de Saddam Hussein, devraient s’intéresser un peu plus au passé de terroriste du nouveau « Premier ministre » et à ses activités criminelles actuelles. Certains l’ont fait avec plus ou moins de succès, tant les pistes sont brouillées. Qu’apprend-on ?

Que les témoignages sur ses crimes de jeunesse ne manquent pas. Dans ses mémoires, Talib Shabib - ancien baassiste qui fit partie du triumvira qui prépara le coup d’Etat contre le général Abdul Karim Kassem - écrit qu’Iyad Allaoui débuta sa carrière politique en 1963 ... en tant qu’assassin ! Haifa al-Azzawi, gynécologue californienne d’origine irakienne, se souvient dans le quotidien londonien Al Arab (12/2/04) avoir rencontré Iyad Allaoui entre 1962 et 1970 à l’Ecole de médecine de Bagdad. C’était, dit-elle, un « gros dur... qui avait un pistolet à la ceinture et qui le brandissait fréquemment, terrorisant les étudiants de la fac de médecine ». Il menaçait les étudiantes pour les entraîner chez lui.

Selon le docteur Azzawi, Iyad Allaoui ne dispose que d’un faux doctorat en médecine, fabriqué par les services secrets, afin de le nommer en 1971 à l’OMS à Londres. Vincent Cannistraro, ancien officier de la CIA, a dit à Seymour Hersh : « Si vous me demandez si Allaoui a du sang sur les mains, depuis les jours qu’il a passés à Londres, je vous répondrai : « oui, il en a ». En Grande Bretagne, il supervisa des opérations de renseignement jusqu’en 1975. Selon un diplomate rencontré par Hersh et « offusqué par l’indifférence affichée des Etats-Unis pour le lourd passé personnel d’Allaoui ... il recherchait et assassinait les dissidents irakiens un peu partout en Europe ».

Concernant son exclusion du parti Baas, et les attentats dont il fut victime, les avis divergent. A-t-il, comme on le dit, été mis sur la liste des gens à abattre parce qu’il avait été recruté par le MI6 ? Lui a-t-on donné l’ordre de jouer les dissidents pour mieux infiltrer l’opposition irakienne ? S’est-il pris au jeu et a-t-il été retourné ? Considéré comme traître, un tueur a pénétré de nuit à son domicile et lui a asséné trois coups de hache qui auraient pu être mortels. A-t-il vraiment été soigné pendant un an au Pays de Galles sous un faux nom ? Selon le Centre Stratfor, il était lié à Ali Salih al-Saadi, dirigeant baasiste d’extrême gauche réfugié en Syrie, qui complotait pour reprendre la direction du parti Baas irakien.

Crime de sang froid

En tout cas, Iyad Allaoui a beau être « Premier ministre », son naturel reprend le dessus... Selon Paul McGeough du Sidney Morning Herald (17/ 7/04), il aurait abattu de sang froid six prisonniers accusés de terrorisme lors d’une visite dans le Centre de sécurité d’Al-Amariyah à Bagdad. L’événement se serait déroulé la semaine précédent le soi disant « transfert de souveraineté ».

Les présumés terroristes auraient été alignés dos au mur dans la cour près des cellules, menottés et les yeux bandés. Allaoui leur aurait alors froidement logé une balle dans la tête, en présence de Falah al-Naqib, « ministre » de l’Intérieur et devant une dizaine de policiers irakiens médusés et quatre Américains des Forces spéciales assurant sa protection. Après les meurtres, le « Premier ministre » a harangué les témoins, leur disant que c’était ainsi qu’il fallait traiter les « terroristes ».

« Rumeur ! » dit John Negroponte, l’ambassadeur américain et véritable chef du pays. Le journaliste australien a enquêté et il ne semble pas que cela en soit une. On comprend mieux pourquoi Iyad Allaoui est détesté par la majorité des Irakiens, et pourquoi la résistance considère son élimination comme une mesure de salubrité publique.

Concernant Iyad Allaoui, lire notamment : “Iraq’s new Premier : ex-CIA aides say Iraq leader helped Agency in 90’s attacks” par Joel Brinkley (New York Times- 8/6/04) - “The CIA and the coup that wasn’t” par David Ignatius (Washington Post - 16/5/03) - “A big man to watch in Baghdad”, par David Ignatius (Washington Post- 1/2/04) -Plan B”, par Seymour M. Hersh (New Yorker- 28/6/04), “Iyad Allaoui, le protégé de la CIA”, par Patrice Claude (Le Monde - 29/6/04), “Allawi shot inmates in cold blood, say witnesses”, par Paul McGeough (Sidney Morning Herald - 17/7/04)), “Iraq’s Allawi : a US friend in the highest place” (Stratfor - 4/6/04) .

Lire également : “ Out of the ashes :the resurrection of Saddam Hussein”, de Patrick et Andrew Cockburn.

 

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