Par Gilles Munier
Mercredi 21 mars, la salle d’audience de la Cour d’appel du Palais de justice de Paris, où comparaissait Mourad Dhina, était trop petite pour contenir tous ceux venus soutenir son combat et réclamer sa libération (1).
L’opposant algérien, connu pour son engagement non-violent, directeur d’Alkarama, organisation arabe des droits de l’homme, a été arrêté - rappelons-le - à l’aéroport d’Orly, le 16 janvier 2012, alors qu’il retournait à Genève après avoir participé à une réunion du Mouvement Rachad (Droiture) dont il est un des fondateurs. Cette organisation, créée en avril 2007, est « un rassemblement politique, social et intellectuel » militant par « des voies non-violentes » pour établir en Algérie «un Etat de droit et de bonne gouvernance »» (2).
Les jours précédents, des manifestations en sa faveur avaient eu lieu devant les ambassades d’Algérie dans plusieurs capitales : Paris, Bruxelles, Genève, mais aussi Tunis, Le Caire, Tripoli et Sanaa (3). Amnesty International avait appelé la France « à rejeter la demande des autorités algériennes d’extrader Mourad Dhina, ressortissant algérien résident en Suisse, vers l’Algérie où il risque d’être exposé à la torture et à d’autres mauvais traitements » (4).
Si les islamistes
se mettent à être non-violents,
on est foutus !
Depuis le renversement de Ben Ali en Tunisie, les dictatures arabes craignent que des manifestations de mécontentement populaire dérapent en soulèvements, d’autant qu’en Algérie ce n’est pas un, mais des dizaines de Mohamed Bouazizi qui se sont immolés par le feu ces derniers mois (5). Les émeutes de laissés-pour-compte dépassent la centaine, la désespérance est telle que, dans certaines régions, des adolescents se pendent (6). Effrayant bilan pour un cinquantième anniversaire de l’indépendance ! Certes, le pays est « sous contrôle », disent les généraux algériens pour se rassurer, mais m’a dit dernièrement un partisan du régime : « si les islamistes se mettent à être non-violents, alors on est foutus ! ».
Les élections législatives qui se dérouleront, début mai, en Algérie, sont présentées comme un tournant. Le bourrage des urnes et le vote téléguidé sont des pratiques où les tenants du régime excellent. Dernièrement, des partis algériens ont dénoncé la réouverture des listes électorales après la fin des délais réglementaires pour inscrire des « nouveaux électeurs », notamment des militaires et des jeunes recrues du service national. A Tindouf, le Parti des Travailleurs de Louisa Hanoune en a décompté près de 33 000… Trois partis islamistes régimistes ont menacé de se retirer des élections législatives si le pouvoir recourt à la fraude. La crainte d’un boycott massif du scrutin est telle que le Président Bouteflika donne à ces élections la même importance que le déclenchement de la lutte pour l’indépendance le 1er novembre 1954 ! On comprend mieux pourquoi ses services spéciaux s’en prennent à Mourad Dhina qui appelait les électeurs au boycottage du scrutin, sur Rachad TV.
Un coup monté
par les services secrets algériens
En janvier, la demande d’extradition présentée à la justice française était la même que celle rejetée par la Suisse il y a quelques années, à savoir que Mourad Dhina aurait constitué un groupe « terroriste » à «Zurich et sur le territoire Suisse », et acheté un petit avion immatriculé aux Etats-Unis dans les années 90. Du pipeau… A l’époque d’ailleurs, un policier suisse avait été inculpé pour avoir fabriqué de fausses preuves contre Mourad Dhina à la demande des services secrets algériens. De plus, il y a quelques jours, le procureur fédéral suisse a fait savoir à Maître Antoine Comte, l’avocat de Mourad Dhina, que la surveillance de l’opposant algérien entre 1994 et 2000 n’avait abouti à aucun élément justifiant des poursuites (7) : « mon meilleur alibi », dira l’opposant dans son intervention à l’audience !
Le 21 mars, les juges de la Cour d’appel auraient dû le libérer. On veut croire que le climat anti-musulman suscité par les meurtres de l’ « islamiste » de Toulouse a retardé son élargissement. La décision d’extrader, ou non, Mourad Dhina sera prise le 4 avril. En attendant, des précisions sont demandées aux autorités algériennes. Rien n’est joué, car en période de surenchère électoraliste, il faut toujours s’attendre au pire.
Notes et documents :
(1) Photo de la salle d’audience sur Facebook (21/3/12)
(2) Document : Charte du Mouvement Rachad (Droiture)
http://www.rachad.org/fr/documents/viewcategory/3
(3) Manifestation de soutien pour le Dr Mourad Dhina dans de nombreuses capitales
(4) La France ne doit pas extrader Mourad Dhina vers l’Algérie
(5) Le feu, moyen de revendication sociale. Voyage au pays des immolés, par Mustapha Benfodil (El Watan – 29/1/12)
http://www.algeria-watch.de/fr/article/eco/soc/voyage_algerie_immoles.htm
(6) Drame en Kabylie : ces enfants qui se suicident, par Nordine Douici et Hafid Azzouzi
(7) Interview de Maître Antoine Comte (21/3/12)
http://www.youtube.com/watch?v=9SQdAK1rtgQ
Sur le même sujet, lire aussi :
L’arrestation de Mourad Dhina et les élections législatives en Algérie (8/2/12)
Des accusations bidons pour maintenir Mourad Dhina en détention (23/2/12)