Israël… Etat intouchable
par Xavière Jardez
Une certaine communauté internationale a donné, une nouvelle fois, à Israël la latitude de « s’auto-grâcier » d’un crime. Après l’agression, le 31 mai, des bâtiments de la Flottille de la Liberté, l’Etat hébreu va constituer une commission d’enquête interne, avec en son sein deux observateurs internationaux sans pouvoir. Existe-t-il au monde un système juridique qui permette à un accusé d’enquêter sur ses propres crimes, surtout s’agissant de crimes qualifiés de crimes de guerre ?
Mais reprenons, brièvement, les principales séquences de l’agression israélienne sur le Mavi Marmara et la mort de 9 civils turcs, car, dès l’annonce de l’assaut, la machine de propagande israélienne a clamé, comme toujours, avoir assuré sa sécurité, sa légitime défense, son droit à faire respecter le blocus de Gaza… Témoignage d’un rescapé : « A deux heures du matin, les organisateurs m’ont dit avoir dérouté le navire loin, dans les eaux internationales car ils ne voulaient pas de confrontation avec les militaires israéliens ; à 4 heures du matin, les soldats israéliens ont attaqué le bateau sans avoir été provoqués. Gaz lacrymogènes, grenades ont été lancés, des balles en caoutchouc ont été tirées; des douzaines de canots gonflables chargés de 15 à 20 soldats masqués, armés jusqu’aux dents ont entouré le Mavi Marmara. Deux hélicoptères tournaient autour du vaisseau. Les commandos ont complété le tir, faisant usage de balles réelles avant même que les soldats n’abordent le navire. Un soldat armé d’une arme automatique et d’un pistolet fut désarmé par les passagers. Ils n’ont pas fait usage de son arme mais l’ont jetée par-dessus bord… A 8 heures environ, les soldats israéliens ont envahi les cabines des passagers où ils passèrent les menottes à tous … On m’a fait descendre à Ashdod où on m’a demandé de signer un ordre de déportation qui déclarait que j’avais pénétré en Israël illégalement… J’ai dit à l’officier que ... en fait, j’avais été kidnappé dans les eaux internationales et amené en Israël contre ma volonté. Mon passeport m’a été enlevé (et ne m’a pas été rendu) » (1).
La sécurité d’Israël était-elle en jeu ? Y avait-il un danger terroriste venant de cette flottille composée de six bateaux civils, avec à leur bord quelque 600 personnes de seize nationalités, battant pavillon de pays avec lesquels Israël n’est pas en guerre ou est allié, à savoir la Turquie, la Grèce et les Etats-Unis ? La Turquie est-elle une enclave terroriste ? La réponse est non, d’autant qu’Israël connaissait parfaitement le contenu du cargo de plusieurs milliers de tonnes de marchandises, le statut des personnes embarquées dont deux personnalités, l’écrivain suédois Hennin Mankel et le prix Nobel de la Paix, Mairead Corrigan Maguire, ainsi que l’objectif de l’opération : briser le blocus illégal de la bande de Gaza et apporter une assistance à un peuple de 1 500 000 personnes confronté à une crise humanitaire sans précédent.
Violations des textes internationaux
C’est ainsi que le Manuel de San Remo (2) sur le droit applicable aux conflits armés sur mer exempte d’attaque « les navires engagés dans des missions humanitaires, y compris les navires transportant des fournitures indispensables à la survie des populations civiles et les navires engagés dans des actions d’assistance et des opérations de sauvetage ».
Si Israël avait eu le moindre doute sur les activités de la flottille - agression ou piraterie - il devait, en vertu de la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer de 1982, qui dans son art. 88 pose le principe de la liberté de navigations dans les eaux internationales, contacter les Etats du pavillon pour exiger le repli du bâtiment ou détourner le bâtiment une fois dans les eaux territoriales et, après avoir vérifié que les biens étaient effectivement de nature humanitaire, en faciliter, en tant que puissance occupante, le transit vers Gaza.
Tout comme, en septembre 2000, devant le désastre humain de l’embargo imposé à l’Irak, depuis 1991, la Jordanie et une première campagne française « Un avion pour Bagdad » avaient passé outre à l’interdiction et débarqué des chargements d’aide humanitaire, médicaments et biens de première nécessité. Avaient suivi la Russie, la Chine, l’Egypte et d’autres pays arabes. Les Américains et les Britanniques qui surveillaient l’espace aérien irakien avaient – ils tiré sur les avions ? Les avaient-ils saisi et emprisonné les militants à leur bord ?
Peu importe, par ailleurs, l’état des relations entre le Hamas ou toute autre organisation palestinienne et Israël, le blocus de Gaza et l’interprétation que l’Etat juif en donne. Le seul fait que l’attaque ait eu lieu dans les eaux internationales est en lui-même un acte de guerre à l’égard de l’Etat du pavillon des navires. De nombreux traités internationaux – la Charte des Procès de Nuremberg, la Convention de la Haye de 1907 sur l’exercice du droit de saisie en mer - sont pertinents pour juger Israël pour crimes contre la paix et crimes contre l’humanité.
Ironie du sort, Israël a aussi violé un document international qui avait été adopté après la capture par les Palestiniens du bateau de croisière l’Achille Lauro (3) en 1985, au cours de laquelle un Américain juif avait été tué. Il s’agit de la Convention de Rome pour la Suppression des Actes Illicites pour la Sécurité de la Navigation Maritime de1988 qui stipule que commet un crime international toute personne qui se saisit d’un navire par la force ou le contrôle, et tue ou blesse un individu de ce fait. Il s’ensuit que les prétentions israéliennes à la légitime défense tombent d’elles-mêmes. On ne peut attaquer un navire et se prévaloir de la légitime défense si les passagers résistent à une violence illégale, refusent de se laisser capturer, enlever et emprisonner.
Mais, assuré, depuis des décennies, d’une liberté militaire indiscutée au Moyen-Orient, réaffirmée à chaque violation du droit international, des droits de l’homme, Israël a réagi par la force la plus brutale car le danger était politique : il ne fallait pas que l’opération réussisse ni qu’elle donne lieu à d’autres convois car elle sonnait la victoire du Hamas et, selon les propos des militaires israéliens, se révélait « une provocation visant la légitimité d’Israël ». La politique d’Israël « est de maintenir le siège imposé au gouvernement du Hamas et il n’y a aucune raison de céder aux provocations ». Et, comme d’habitude, Israël n’en est pas à son ballon d’essai.
Un précédent :
l’attaque de l’USS Liberty
Le 30 décembre 2008, Israël a lancé une demi-douzaine de vedettes militaires et tiré à balles réelles contre le bateau, le Dignity de la mission Free Gaza, dans les eaux internationales qui transportait de l’aide médicale à Gaza avec à son bord l’ex-membre du Congrès Cynthia McKinney et Denis Healey (4).
Le 8 juin 1967, au cours de la guerre dite des Six Jours, Israël a attaqué un navire américain, l’USS Liberty, au large de la péninsule du Sinaï, faisant 34 morts et environ 173 blessés (5). Or, tout comme pour les bâtiments humanitaires de la Flottille de la Liberté, l’attaque israélienne d’une durée de 75 minutes, en trois vagues successives, avait été délibérée, selon les termes du Secrétaire d’Etat de l’époque, Dean Rusk, et coordonnée, sur une longue période, par les états-majors de la marine, de l’aviation et des commandos. Il ne s’agissait pas, comme a voulu le faire accroire Israël, d’un « accident tragique », le résultat d’une erreur sur l’identité du bâtiment de surveillance US à fort équipement technologique en ces années-là, confondu avec un vieux rafiot égyptien, malgré le bannière étoilée flottant haut. Tout comme, lors des derniers événements, « alors qu’à bord, tout le monde se préparait à abandonner le navire, ils (les Israéliens) ont mitraillé les embarcations de sauvetage qui avaient été abaissées pour l’embarquement des survivants, en totale violation de la Convention de Genève » (6).
Or, le degré de préparation de l’opération contre le Mavi Marmara s’apparente à celle visant l’USS Liberty à bien des égards : le déploiement de l’unité Masada, commando spécialisé dans la pénétration de cellules de prison, les commandos de la marine soutenus par les unités de la police spéciale anti-terroriste, le recours à une unité canine, des camps de détention de masse mis en place dans le port d’Ashdod et un bouclier électronique pour empêcher la diffusion d’informations sur la capture du vaisseau et la détention de ses passagers.
Mais, qui plus est, il est impossible que, vu l’étroitesse des liens entre Israël et l’OTAN, cette dernière, et les Etats-Unis qui en ont le commandement, n’ait pas été informée de l’attaque (6). Israël est associée aux opérations de l’OTAN dans le cadre d’un « Programme de coopération individuelle » ratifiée trois semaines avant l’attaque israélienne contre Gaza en décembre 2008 qui inclut un échange d’informations, une connexion d’Israël au système électronique de l’OTAN, l’augmentation des manœuvres militaires communes, l’élargissement de la coopération contre la prolifération nucléaire !!!
Depuis 1967, les dessous de l’affaire de l’USS Liberty sont encore sous scellés et pendant des décennies, la version officielle a été un ramassis de mensonges. En sera-t-il de même de la Flottille de la Liberté ? N’y aura-t-il, comme par le passé, aucune sanction contre Israël, aucun jugement de ceux qui ont commis ces crimes, de guerre ou crimes ordinaires de personnes non armées au cours d’une attaque planifiée ou de piraterie, alors que, depuis peu, la définition de cette dernière s’est élargie pour inclure « toutes les agressions réussies comme les tentatives d’attaque contre tout bâtiment, indépendamment du fait qu’il se trouve dans un port, au mouillage ou en mer » ?
Israël, un nouvelle fois récompensé
Que l’on se souvienne de l’affaire du Rainbow Warrior qui n’avait ni la dimension, ni l’objectif de l’attaque israélienne : c’est un scandale auquel le gouvernement et les services secrets français prennent part en 1985 en coulant le navire de l’organisation Greenpeace qui faisait route vers Mururoa pour protester contre les essais nucléaires français. Certes, le navire est coulé, de plus dans les eaux territoriales néo-zélandaises, certes il y a eu un mort, le photographe néerlandais, retourné sur le bateau, après la première explosion, certes les passeports des faux époux Turenge étaient des faux. Mais, la sanction tombe. Les deux agents secrets, accusés de meurtre, sont condamnés à 10 ans de prison. La France, après des excuses officielles, paie une réparation de 7 millions de dollars de dommages et intérêts à la Nouvelle Zélande et 8,16 millions de dollars à Greenpeace.
Piraterie, il y a eu sur la Flottille de la Liberté : comment qualifier le fait de détourner un navire vers un port autre que celui de sa destination, immobiliser le chargement, le détenir, voler les biens des passagers, caméras, ordinateurs portables, argent, vêtements, … etc ? Israël, prévoyant l’impact du convoi humanitaire sur son image, avait approché la Turquie pour acheminer les marchandises différemment. Mais, vu les pratiques antérieures de l’Etat juif et l’incertitude de l’acheminement, les négociations avaient achoppé. On se demande alors pourquoi, la France qui, dès novembre 2007, a lancé une opération Alcyon visant à escorter les convois humanitaires du Programme alimentaire mondial et à sécuriser l’aide humanitaire à destination de la Somalie qui transite à 80% par la mer n’a pas proposé son aide pour cette initiative… La résolution 1814 du Conseil de sécurité (mai 2008) est venue pérenniser, dans le cadre des Nations unies, ce dispositif à vocation humanitaire, sauf pour Gaza.
La bande de Gaza doit être une aberration, une illusion géographique à rayer des cartes, puisque Israël reçoit récompense sur récompense, la dernière en date étant son admission au sein de l’OCDE, en mai dernier, avec, inclus dans son périmètre de souveraineté, les territoires occupés du Golan et de la Cisjordanie. Comment alors, évoquer la constitution d’un Etat palestinien sur les haillons de la Palestine.
Israël peut donc, en toute impunité, assassiner de sang froid, à Dubaï, arraisonner bateaux et cargos au large des douze miles, tuer des gens désarmés, falsifier des passeports, saisir ceux de citoyens français ou autres passagers de la Flottille de la Liberté au mépris du fait qu’ils sont la propriété des Etats comme indiqué sur ces documents, toute souveraineté foulée aux pieds. C’est étrange, ces comportements ont comme un petit air de déjà-vu !
Notes :
(1) Kidnapped by Israel, par Jamal Eishayyal (The Independent – 6 juin 2010)
(2) Le Manuel de San Remo, adopté en 1994, limite, en mer, le recours d’un Etat à des méthodes et moyens de guerre en vertu du principe de proportionnalité et de nécessité.
(3) En 1985, l’Achille Lauro, navire de croisière italien, a été assailli dans les eaux territoriales égyptiennes par des militants du Front de Libération de la Palestine (FLP) qui demandait la libération de 50 prisonniers palestiniens détenus en Israël. Membre du Comité exécutif de l’OLP, Abou Abbas, chef du FLP, avait obtenu – en 1999 - l’immunité de la Cour suprême israélienne en raison de son soutien aux accords d’Oslo. Arrêté en Irak, le 15 avril 2003, il est mort sous la torture dans une prison secrète américano-israélienne.
(4) Denis Healey, ancien ministre des Finances travailliste (1974-1979), capitaine du « Spirit of Humanity », s’est rendu à plusieurs reprises à Gaza en signe de solidarité. En 2003, il s’était opposé à la dernière guerre du Golfe, convaincu que Tony Blair mentait, qu’il n’y avait pas de « preuves sérieuses de l’existence d’armes de destruction massive… ».
(5) Ozarks Man Recalls USS Liberty Attack With Emotion, par Jennifer Moore
http://ksmu.org/content/view/4659/66/
(6) James Ennes, Washington Report on Middle East Affairs, mai, 2007