Le 5 janvier dernier, Moqtada al-Sadr a débarqué de l’avion d’Ali Akbar Salehi, ministre iranien des Affaires étrangères, venu en Irak pour effectuer sa première visite officielle. Le Sayyed (1) n’avait pas remis les pieds à Bagdad depuis 2008, installé à Qom pour parfaire son éducation religieuse et devenir ayatollah.
A Nadjaf, le 8 janvier, dans un discours public, il a rappelé au Premier ministre Nouri al-Maliki – élu grâce aux voix des 39 députés sadristes - qu’il a les «moyens politiques » de le renverser. Il l’a prévenu qu’il n’acceptera pas la présence de troupes américaines après la fin 2011, date fixée par le pacte de sécurité américano-irakien (SOFA). Parallèlement, il a enjoint ses partisans à résister, « par tous les moyens », à l’occupation. Les activités de l’Armée du Mahdi étant officiellement gelées depuis août 2008, il dispose d’un autre bras armé, plus expérimenté et plus discipliné: la Brigade du Jour Promis, que les Etats-Unis soupçonnent d’attaquer leurs bases.
Le 10 janvier, par l’intermédiaire du député sadriste Bahaa al-Aaraji, Moqtada a demandé au Parlement et au gouvernement d’allouer à chaque citoyen irakien un pourcentage des revenues pétroliers, un terrain et des facilités pour y construire une maison, afin, notamment de relancer le secteur agricole, en pleine déliquescence depuis 2003 (2). Sur le marché, les produits importés de Turquie ou… d’Israël – étiquetés Made in Jordan - sont moins chers que ceux d’origine irakienne.
Campagne de diffamation, chantage
La réaction de Nouri al-Maliki – et des Etats-Unis - ne s’est pas faite attendre. Un envoyé du Premier ministre irakien a remis à Moqtada un message l’informant que le gouvernement ne se portait pas garant de sa sécurité, et que le mandat d’arrêt délivré contre lui en 2004, l’accusant d’avoir fait assassiner l’ayatollah Abdul Majid al-Khoï (3) à Nadjaf, était toujours exécutoire. Il risquait d’être arrêté, à la demande express de Haydar, fils de ce dernier, résidant à Londres. Des « documents compromettants » auraient également été remis à Moqtada pour l’inciter à plus de modération, voire à déguerpir. Il s’agirait de photos données par la CIA à Maliki, trouvées, comme par hasard, dans les archives des services secrets de Saddam Hussein.
Les menaces de mort proférées à son encontre étaient plus sérieuses (4). Depuis plusieurs semaines, les sites Internet de Asaib Ahl al-Haq - La Ligue des Vertueux - organisation terroriste pro-iranienne soi-disant rentrée dans le rang (5), se répandaient en insultes, calomnies et menaces contre Moqtada al-Sadr. Asaib Ahl al-Haq avait même diffusé une déclaration rendant son meurtre « licite » pour tout musulman. Relation de cause à effet ? Le 18 janvier, à l’étonnement de ses proches, le Sayyed repartit en Iran sans crier gare, pour, selon des proches, « poursuivre ses études religieuses ».
Mise en cause du confessionnalisme
L’apparition inattendue dans les rues de Bagdad et des principales villes d’Irak de milliers de manifestants - dans la foulée des révolutions tunisiennes et égyptiennes - réclamant des conditions de vie meilleures, allait changer la donne. Dans un premier temps, le Grand ayatollah Ali al-Sistani et Moqtada al-Sadr leur apportèrent leur soutien. Mais, quand il devint évident que la plupart des contestataires mettait en cause le système confessionnel, et que le fragile équilibre parlementaire soutenant Nouri al-Maliki risquait de s’effondrer, la nomenklatura chiite – Moqtada compris - changea de camp. Le 23 février, le Sayyed, apparemment rentré en grâce, revint à Nadjaf pour adjurer les Irakiens de ne plus manifester. Assurant toujours soutenir leurs revendications, il proposait un referendum sur les services publics (6) et leur demandait de donner six mois de répit au gouvernement pour faire la preuve de ses capacités.
Moqtada aurait mieux fait de se taire, et de choisir son camp une fois pour toutes. Ses changements de position à 180° finissent par dérouter ses partisans les plus indulgents. Les journées de la colère irakienne se succèdent et prennent de l’ampleur. Celle du 25 février fut sanglante (7). La répression qui a suivi aussi, mais elle n’a pas dissuadé des milliers de manifestants, le 4 mars, de conspuer de nouveau leurs dirigeants « incapables et corrompus » au cri, notamment, de « Le pétrole pour le peuple, pas pour les voleurs ». Les murs de béton posés sur le pont Al-Joumhouriya pour empêcher la vague de colère d’atteindre la Zone verte ne tiendront pas toujours.
Sources :
(1) Titre donné aux descendants du Prophète Muhammad.
(2) Shiite Leader, Muqtada al-Sadr, demands govt. to allocate oil share for each Iraqi citizen
http://en.aswataliraq.info/Default1.aspx?page=article_page&id=140447&l=1
(3) L’ayatollah Abdul Majid al-Khoï, considéré comme un agent britannique, a été assassiné le 10 avril 2003 à Nadjaf. Le juge enquêtant sur cette affaire est Raed al-Juhi, porte-parole du tribunal spécial ayant jugé le Président Saddam Hussein.
(4) Al-Sadr fled to Iran due to assassination fears, par
http://www.aawsat.com/english/news.asp?section=1&id=23926
(5) Asaib Ahl al-Haq (AAH, pour les Américains), du nom de l’armée qui devrait accompagner l’Imam al-Mahdi à sa réapparition lors du Jugement dernier, est issue d’une scission de l’Armée du Mahdi. Elle est dirigée par Qais Khazali, adepte du Grand ayatollah Mahmoud Hashemi Shahroudi et un des principaux suspects du meurtre de l’ayatollah Al-Khoï.
Asaib Ahl al-Haq est étroitement liée à la Brigade al-Qods des Gardiens de la révolution islamique iranienne. Plusieurs de ses membres - dont Qais Khazali, arrêté à Bassora en 2007 -, emprisonnés par les forces d’occupation américaines, ont été libérés sur intervention de Nouri al-Maliki en échange de la libération d’un otage britannique et de la promesse de « soutenir le processus politique ».
(6)Iraqi Shiite Leader Muqtada al-Sadr returns, and announces referendum on public services
(7) Journées de la colère en Irak : le sang coule