Par Gilles Munier (Afrique Asie – mars 2015)*
En s’emparant de Mossoul en juin dernier, l’Etat islamique a marginalisé une seconde fois la résistance patriotique irakienne.
« L’histoire ne repasse pas les plats »... L’échec de l’« Opération Mossoul », organisée à Amman par le Baas irakien clandestin, des organisations de la résistance islamique anti- américaine – dont Ansar al-Islam -, des chefs de tribus de la région d’Al-Anbar et un représentant de Massoud Barzani, a fait « flop » ! Du moins, si l’on peut dire... car les djihadistes de l’Etat islamique (EI) - dont la participation à l’offensive avait été réglée par des officiers baasistes dans une petite bourgade au sud de Mossoul - ne se sont pas cantonnés au rôle de troupes de choc qui leur était assigné.
Après la prise de la ville, l’EI a aussitôt imposé son programme et éliminé ses concurrents. Izzat Ibrahim al-Douri, successeur de Saddam Hussein à la tête du parti Baas et chef de l’Armée des hommes de la Naqshbandiyya (JRTN), devait proclamer la constitution d’un « Gouvernement provisoire de la République irakienne (GPRI) » au sein duquel les courants politiques luttant contre le régime de Bagdad auraient été représentés. Abou Bakr al-Baghdadi n’étant pas, évidemment, de cet avis : les portraits de Saddam Hussein placés à l’entrée de Mossoul ont été retirés et Izzat Ibrahim s’est retrouvé « Gros gens comme devant ».
Le secret du complot d’Amman était éventé depuis longtemps. Le compte-rendu de la réunion, ultra secret, avait atterri quelques jours plus tard sur le bureau de Nouri al-Maliki – moyennant 4 millions de dollars, selon Ozgur Gundem, journal proche du PKK - ce qui signifiait que le général Qassem Suleimani - chef des Forces al-Quds des Gardiens de la révolution islamique iranienne - était informé de ce qui allait se passer.
Anciens officiers baasistes ?
Les Etats-Unis au courant du complot – sinon partie prenante - avaient laissé se développer l’opération, bien résolus à la faire capoter: la proclamation d’un gouvernement provisoire allant à l’encontre de leur projet de partition de l’Irak. La CIA a donc laissé l’EI prendre la direction des événements, ce qui lui permettait de se débarrasser à moindre frais de nationalistes hostiles au redécoupage du Proche-Orient. Résultat : non seulement Izzat Ibrahim a été mis sur la touche, mais Saif al-Din al-Mashadani, membre du Commandement national du Baas et de la direction de la JRTN – considéré comme le n°2 de la résistance irakienne -, en route pour Mossoul avec des officiers baasistes, ont été arrêtés par l’EI et exécutés. L’hommage rendu peu avant par Izzat Ibrahim aux «intrépides cavaliers de l’Etat islamique » n’avait d’autre but, dit-on, que d’obtenir leur libération. Depuis, le chef du Baas ne donne plus signe de vie. Il n’a pas prononcé son habituel discours, le 5 janvier, pour l’anniversaire de l’armée irakienne. La JRTN qu’il commande ne s’est manifestée dernièrement que pour condamner l‘exécution de Maaz al-Kassasbeh, le pilote jordanien brûlé vif, et encore sans citer le nom de l’EI. Izzat Ibrahim s’estime trahi par les anciens officiers de l’armée qui ont prêté allégeance à Abou
Bakr al-Baghdadi. En Irak, être « anciens officiers de l’armée irakienne » ne veut pas toujours dire baasiste. Du temps de Saddam Hussein, pour faire carrière dans l’armée, il était préférable d’avoir la carte du parti. Douze ans après la chute de Bagdad, bien malin qui sait ce qui les motivent ? En juillet dernier, le général Moataz al-Hiti, membre du GMCIR (General Military Council for Iraqi Revolutionaries), organisation d’anciens militaires proche de l’Association des Oulémas musulmans (AMSI) du cheikh Harith al-Dari, déclarait qu’il ne partageait pas la vision du monde de l’EI, mais qu’il était avec les djihadistes « dans la même tranchée ». Jusqu’à quand ?
Champ libre pour l’EI
En juin, la proclamation d’un gouvernement provisoire siégeant à Mossoul aurait bouleversé le paysage politique et mis fin aux espoirs de Nouri al-Maliki de redevenir Premier ministre. Sachant que la population de la province de Ninive allait accueillir les organisations de la résistance en libérateurs, il a donné l’ordre à ses généraux d’abandonner leurs troupes et de se réfugier en catastrophe au Kurdistan, laissant le champ libre aux djihadistes de l’EI. On connait la suite.
Parvenus à ce stade, Washington et Téhéran pouvaient se frotter les mains : leur ennemi baasiste irakien était hors-jeu, au moins provisoirement. Avaient-ils prévu qu’un autre le remplacerait, plus dangereux encore ? A Bagdad, certains accusent Al-Maliki d’avoir facilité la tâche de l’EI et voudraient le juger pour « crime contre la sûreté de l’Etat ». Ce n’est pas demain la veille. Aujourd’hui vice-Président de la République, poste qu’il a exigé pour ne pas se représenter, l’ancien Premier ministre n’a pas dit son dernier mot.
Photo: Izzat Ibrahim al-Douri, chef du parti Baas clandestin irakien