Qui dirige l’État d’Israël ? Le Premier ministre Benjamin Netanyahou, évidemment. FAUX.
Par Uri Avnery (revue de presse : france-palestine.org – 19/2/15)*
Le vrai dirigeant de l’État d’Israël est un certain Sheldon Adelson., 81 ans, Juif américain, roi de casino, qui a été classé dixième fortune du monde, valant 37,2 milliards de dollars lors de la dernière évaluation. Mais qui procède à cette évaluation ?
Outre ses casinos de Las Vegas, de Pennsylvanie, de Macao et de Singapour, il possède le parti républicain des États-Unis et, depuis peu, les deux chambres du Congrès des États-Unis.
Il possède aussi Benjamin Netanyahou.
LE LIEN D’ADELSON avec Israël est une affaire personnelle. À l’occasion d’un rendez-vous à l’aveugle, il tomba amoureux d’une femme israélienne.
Myriam Farbstein est née à Haïfa, elle a fréquenté un lycée prestigieux, a fait son service militaire dans un institut israélien spécialisé dans la guerre bactériologique et c’est une scientifique à plusieurs champs de compétence. Après la mort par overdose d’un de ses fils (de son premier mariage), elle s’est consacrée à la lutte contre la drogue, en particulier le cannabis.
Les époux Adelson sont des soutiens fanatiques d’Israël. Pas de n’importe quel Israël, mais d’un Israël de droite, dominateur, arrogant, violent, expansionniste, annexionniste, intransigeant, colonialiste.
Avec “Bibi” ils ont trouvé leur homme. A travers Nétanyahou ils espèrent diriger Israël comme leur fief privé.
Pour s’en assurer, ils ont fait une chose extraordinaire : ils ont créé un journal israélien, exclusivement consacré à la promotion des intérêts de Benjamin Nétanyahou. Pas des intérêts du Likoud, ni d’une politique définie, mais de Netanyahou personnellement.
Il y a quelques années j’ai inventé un mot hébreu pour les journaux diffusés gratuitement. “Hinamon” se traduit approximativement par “torchon gratuit” ou “numéro gratuit” et visait à dénigrer. Mais je n’imaginais pas un monstre comme “Israël Hayom” (“Israël aujourd’hui”) – journal disposant de fonds illimités, diffusé quotidiennement dans les rues et les galeries commerciales de tout le pays par des centaines et peut-être de milliers de jeunes gens rémunérés.
Les Israéliens aiment se procurer des choses qui ne coûtent rien. Israël Hayom est actuellement le quotidien qui a la plus grande diffusion en Israël. Il draine des lecteurs et des ressources de publicité de son seul concurrent, Yedioth Ahronoth (“Dernières nouvelles”), qui occupait cette position jusqu’à présent.
Yedioth a réagi vigoureusement. Il est devenu un ennemi acharné de Netanyahou. Yossi Werter, un reporter du journal de centre-gauche Haaretz (dont la diffusion est beaucoup plus faible) pense même que l’élection actuelle se réduit à une lutte entre les deux journaux.
C’est très exagéré. Si l’on en juge par leur contenu politique et social, peu de choses les différencient. L’un et l’autre sont hyper-patriotiques, bellicistes et de droite. C’est la recette journalistique pour séduire les masses partout dans le monde.
Yedioth appartient à la famille Moses, un clan centré sur le monde des affaires. Le directeur actuel, de la troisième génération, Arnon (“Noni”) Moses, fuyant la publicité, est le patron d’un vaste empire économique qui s’appuie sur le journal. Le journal sert ses intérêts économiques, mais n’a pas d’intérêts politiques particuliers.
Adelson est unique.
EN ISRAËL, les paris sont interdits par la loi. Nous n’avons pas de casinos et les maisons de jeu clandestines sont traquées par la police. Lorsque nous étions tout jeunes on nous enseignait que les magnats des casinos étaient de mauvaises gens, presque autant que les marchands d’armes. Ils prennent l’argent des pauvres gens accros au jeu, les précipitant dans le désespoir et même le suicide. Voyez Dostoievski.
Les Israéliens lisent Israel Hayom (après tout, cela ne coûte rien), mais ils n’aiment pas nécessairement l’homme et ses méthodes. C’est pourquoi des membres de la Knesset furent encouragés à déposer une proposition de loi d’interdiction de tous les journaux gratuits.
Netanyahou et le Likoud firent obstruction à cette proposition de loi par tous les moyens. Mais au cours des votes préliminaires (nécessaires pour les propositions de loi présentées par des membres à titre personnel) ils furent battus de façon surprenante. Même des membres de la coalition de gouvernement de Nétanyahou ont voté pour. Les caméras ont surpris Nétanyahou se précipitant littéralement vers son siège dans l’amphithéâtre de la Knesset avant le début du vote.
Le vote pour fut acquis par 43 voix contre 23. Près de la moitié des membres du Likoud n’avaient pas participé au vote. Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et son parti votèrent pour la proposition de loi. Les ministres Yair Lapid et Tzipi Livni aussi.
Entre le vote préliminaire et l’adoption finale, une telle proposition de loi devait franchir plusieurs étapes. Il y avait tout le temps de l’enterrer dans l’une des commissions. Mais Netanyahou était furieux. Quelques jours après le vote, il renvoya Lapid et Livni du gouvernement, entraînant la rupture de la coalition de gouvernement et la dissolution de la Knesset.
Pourquoi Netanyahou a-t-il commis un acte aussi insensé avant la mi-parcours de son (troisième) mandat ? Il n’y a qu’une seule explication logique possible : il en avait reçu l’ordre d’Adelson, afin d’éviter l’adoption de la loi.
Si c’est le cas, Adelson est désormais notre législateur en chef. Peut-être est-il aussi notre faiseur de gouvernement en chef.
L’ARGENT JOUE un rôle de plus en plus important en politique. La propagande électorale se fait à la télévision, et cela coûte très cher. En Israël comme aux États-Unis, des fonds légaux et illégaux financent la campagne, de façon directe ou indirecte. La corruption est encouragée ou tolérée par les tribunaux. Les très riches (qualifiés par euphémisme en Amérique de “nantis”) exercent une influence excessive.
Lors des dernières élections présidentielles aux États-Unis, Adelson a déversé des flots de dollars dans la compétition. Il a soutenu Newt Gingrich, puis Mitt Romney, avec d’énormes sommes d’argent. En vain. Peut-être les Américains n’aiment-ils pas être dirigés par des capitaines de casinos.
Pour les prochaines élections présidentielles aux États-Unis, Adelson a démarré de bonne heure. Il a convoqué au siège de ses casinos de Las Vegas tous les principaux candidats républicains, afin de les sonder sur leur allégeance à sa personne – et à Netanyahou. Personne n’a osé refuser de se rendre à la convocation. Un sénateur romain se soustrairait-il à l’injonction de César ?
En Israël, de tels rituels sont superflus. Les Adelson – Miri comme Sheldon – savent qui est leur homme.
Le journal Israel Hayom est, bien sûr, une grosse machine de propagande, totalement vouée à la réélection de Netanyahou. Tout cela de façon parfaitement légale. En démocratie, qui peut dire à un journal à qui il doit apporter son soutien ? Nous sommes encore une démocratie, grâce à Dieu !
CELA PEUT paraître étrange qu’un pays permette à un étranger, qui n’a jamais vécu dans le pays, d’avoir un si énorme pouvoir sur son avenir, et sur son existence même.
C’est là qu’intervient le sionisme. Selon le credo sioniste, Israël est l’État des Juifs, de tous les Juifs. Chaque Juif du monde appartient à Israël, même s’il réside temporairement ailleurs. Il y a quelques jours, Netanyahou a revendiqué publiquement représenter non seulement l’État d’Israël mais aussi l’intégralité du “Peuple Juif”. Pas besoin de leur demander.
Par conséquent, Adelson n’est pas réellement un étranger. Il est l’un des nôtres. Il est vrai qu’il ne lui est pas possible de voter en Israël, bien que sa femme le puisse probablement. Mais beaucoup de gens, dont lui, pensent qu’il a, étant juif, parfaitement le droit d’interférer dans nos affaires et de dominer nos vies.
Par exemple, la désignation de notre ambassadeur aux États-Unis. Ron Dermer est américain, né à Miami, et il a milité au parti républicain. Désigner un membre américain du parti républicain comme ambassadeur d’Israël auprès d’une administration démocrate peut sembler bizarre. Pas si bizarre si Nétanyahou a obéi aux ordres de Sheldon Adelson.
C’est Adelson qui avait préparé le brouet de sorcière qui met actuellement en danger la relation vitale d’Israël avec Washington. Son laquais, Dermer, a poussé les Républicains du Congrès – qui dépendent tous des largesses d’Adelson ou espèrent en bénéficier – à inviter Nétanyahou à prononcer un discours anti-Obama devant les deux Chambres.
Pendant que s’ourdissait ce complot, Dermer rencontra John Kerry mais ne lui parla pas de la venue de Nétanyahou. Netanyahou non plus n’en informa pas le Président Obama qui, furieux, annonça qu’il ne rencontrerait pas le Premier ministre.
Du point de vue des intérêts vitaux d’Israël, c’est pure folie que de provoquer le président des États-Unis d’Amérique, lui qui contrôle le flux des armes d’Amérique vers Israël et le pouvoir de véto américain aux Nations Unies. Mais, du point de vue d’Adelson, qui veut élire un président républicain en 2016, c’est logique. Il a déjà menacé d’engager des sommes d’argent illimitées pour empêcher la réélection de tout sénateur ou représentant qui ne serait pas présent au discours de Netanyahou.
Nous sommes proches d’une guerre ouverte entre le gouvernement d’Israël et le président des États-Unis.
Quelqu’un joue-t-il notre avenir à la roulette ?
Uri Avnery a été membre de l’Irgoun dans sa prime jeunesse. Ancien député, journaliste et militant pacifiste (91 ans), il est cofondateur de Gush Shalom (Bloc de la Paix), une organisation israélienne favorable à la création d’un Etat palestinien. Il a rencontré Yasser Arafat à plusieurs reprises, et se défini comme « post sioniste ».
Photo : Uri Avnery
Article écrit en hébreu et en anglais, publié sur le site de Gush Shalom le 14 février 2015 Traduit de l’anglais : « The Casino Republic » pour l’AFPS : FL/PHL.
http://www.france-palestine.org/La-republique-casino
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