Par Gilles Munier (Afrique Asie – avril 2014)*
Interrogé en février 2003 par l’ancien ministre travailliste britannique Tony Benn sur les relations entre l’Irak et Al-Qaïda – dénoncées par George W. Bush et Tony Blair - le président Saddam Hussein répondit que si c’était le cas, « il n’aurait pas de honte à l’admettre ». Or, ça ne l’était pas. Certes Al-Qaïda était bien présente en Irak, mais au Kurdistan irakien, dans la région de Halabja, via l’organisation kurdo-arabe Ansar al-islam dont Jalal Talabani aurait bien voulu que l’armée irakienne l’en débarrasse. Les forces spéciales américaines s’en chargèrent en avril suivant, provisoirement car les djihadistes s’étaient replié en Iran. Les Américains firent alors courir le bruit qu’Abou Moussab al-Zarqaoui, un terroriste jordanien proche d’Oussama Ben Laden, vivait aussi dans la région. Gravement blessé lors d’un bombardement US, ils assurèrent qu’il avait été amputé d’une jambe dans un hôpital de Bagdad, preuve que Saddam Hussein était en contact avec Al-Qaïda.
Un terroriste insaisissable
Zarqaoui, amnistié au bout de 3 ans après avoir été condamné à 15 ans de prison en Jordanie pour appartenance à une organisation terroriste, avait dirigé un camp d’entrainement djihadiste en Afghanistan, mais concurrent de ceux de Ben Laden avec qui il avait pris ses distances. Le nom de Zarqaoui réapparut dans les médias en 2004 à la tête d’une organisation du nom de Tawhid Wal Djihad (Unité et djihad). Puis, quand Ben Laden en fit son représentant en Mésopotamie, nous étions quelques-uns à nous demander pourquoi les Iraniens l’avaient laissé passer sur leur territoire et comment un unijambiste pouvait à la fois être omniprésent et insaisissable.
Le mystère s’épaissit lorsqu’une vidéo montra Zarqaoui, cagoulé, égorgeant Nicolas Berg, jeune juif américain. L’islamiste jordanien ne semblait pas handicapé et portait au poignet une montre ou une gourmette en or, ce qui est contraire aux convictions religieuses des salafistes. En juin 2006, après la mort de Zarqaoui, le père du jeune supplicié déclara qu’il n’était pas certain que ce dernier ait assassiné son fils et accusa George W. Bush de la responsabilité du crime : silence gêné des médias mainstrean… Bien que personne n’ait jamais vu Zarqaoui en Irak, les services de propagande US ne parlaient plus que de lui et de sa furie sanglante, ce qui leur permit de justifier le massacre de Falloujah en novembre 2004. Mais, cette fois encore Zarqaoui qui y était - soi-disant - retranché, avait disparu - comme par hasard - dans la nature : ils annoncèrent simplement, et sans rire, qu’il s’était enfui par un tunnel passant sous les lignes US !
Faire exploser la cocotte-minute
Avant la chute de Bagdad, un membre des moukhabarat m’avait confié « que la résistance irakienne serait islamique, qu’elle ferait exploser la cocotte-minute proche-orientale maintenue sous pression par les Occidentaux depuis l’effondrement de l’Empire ottoman ». J’appris plus tard que Saddam Hussein avait conçu la résistance comme un front patriotique nationaliste et islamiste. Prenant exemple sur le Prophète Muhammad à Médine, il avait réparti les futurs combattants en trois groupes :
1-les Moudjahidine, composés de patriotes irakiens et de volontaires venus de divers pays musulmans;
2-les Ansar (Partisans), des baasistes sélectionnés dans les années précédant l’invasion, mais qui avaient gardé leur adhésion secrète ;
3-les Muhajirun (Emigrants) regroupant des responsables baasistes connus pour leurs compétences dans les domaines militaire et technique (1).
Qu’en est-il dix ans après ? Izzat Ibrahim al-Douri, successeur de Saddam Hussein à la tête du parti Baas irakien clandestin, nous disait début février que la situation en Syrie était « complexe, ultra complexe et embrouillée, qu’elle avait créé un enchevêtrement de tranchées et mélangé les cartes ». Elle ne l’est guère moins en Irak où, depuis l’arrestation et l’exécution de Saddam Hussein, la résistance s’est fragmentée au gré d’ambitions personnelles. Faut-il voir la main de l’Arabie saoudite derrière les massacres de civils chiites revendiqués par l’Etat Islamique en Irak et au Levant (Daash) ? Son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, cherche-t-il à remplacer Ayman al-Zawahiri à la tête d’Al-Qaïda ? Faut-il s’étonner qu’il ait répondu à ce dernier lui demandant de quitter le territoire syrien, n’avoir d’ordre à recevoir que de Dieu ? L’élargissement du champ d’activité d’AQI à la Syrie – Pays de Cham – a levé un coin du voile sur la structure de l’organisation islamiste irakienne. On sait aujourd’hui que Daash est dirigée par d’anciens officiers du service de renseignement de l’armée irakienne de l’époque baasiste. On pense aux Muhajirun du plan conçu par Saddam Hussein… Cela expliquerait qu’ils ne se sont jamais senti obligés de respecter les fatawa (2) d’Oussama Ben Laden et encore moins celles d’Ayman al- Zawahiri.
Alors, l’Arabie combat-elle l’Iran par Irakiens interposés ? Ce n’est pas si simple. Selon certaines sources, Daash serait financée par le Prince Abdul Rahman, fils du roi Fayçal d’Arabie, assassiné en mars 1975 par son neveu manipulé, a-t-on dit à l’époque, par la CIA. En tout cas, Nouri al-Maliki, qui accuse la Saoudie et le Qatar d’avoir déclaré la guerre à l’Irak, devrait balayer devant sa porte. Il n’est pas, non plus, à un massacre et une provocation anti-sunnite près.
*Afrique Asie (p.48-49) : http://www.wobook.com/WBD84sk8Tx6v-f
Photo : Carte de Daash effaçant la frontière entre l’Irak et la Syrie (Accords Sykes-Picot). La présence de cellules de Daash est signalée au Liban, en Jordanie et dans le Sinaï.
(1) Al-Moqawama – An V (Afrique Asie – janvier 2008)
(2) Pluriel de fatwa